JOINT ICFTU/TUAC STATEMENT

 

 

 


 
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DÉCLARATION SYNDICALE INTERNATIONALE SUR LA CRISE ÉCONOMIQUE MONDIALE


L’aggravation de la crise 

1. L’écroulement économique et financier en Asie et en Russie a plongé dans la récession un tiers de l’économie mondiale. Ce sont les travailleurs, les pauvres et en particulier les femmes qui en ont supporté le poids. En Asie, les niveaux de vie se sont effondrés et le chômage a déferlé sur les pays. En Russie, un quart de la population active n’a plus été payé depuis six mois. Le nombre croissant de faillites conduit à une misère encore plus grande. La crise risque toujours de se propager à l’Amérique latine et à l’Afrique, qui subissent déjà une baisse de la croissance et un recul des perspectives d’emploi et de réduction de la pauvreté. D’autres régions, notamment l’Union européenne et les Etats-Unis ont connu une croissance continue bien que lente mais l’économie mondiale est faite de liens réciproques et la baisse du commerce mondial ainsi que des marchés des valeurs dangereusement instables menacent de déclencher une véritable récession mondiale avec une baisse de la demande et de la production et un impact dévastateur sur l’emploi. 

2. La cause fondamentale de la crise se trouve dans la poursuite aveugle de la libéralisation financière en l’absence d’un cadre approprié de réglementation pour empêcher une mauvaise gestion, la spéculation et la corruption. Cette attitude a libéré des flux internationaux massifs de crédits à court terme et de portefeuilles-titres sur des marchés financiers émergents sans l’établissement de systèmes internationaux de comptabilité, de transparence et d’une réglementation prudentielle. Les banques et les institutions financières ont fait d’énormes erreurs de jugement, dont le coût se traduit par des pertes massives d’emplois en particulier dans le secteur des finances. La crise a révélé les problèmes de corruption endémiques et l’échec des institutions marqué par l’effondrement de fonds spéculatifs comme le Long Term Capital Management. 

3. Depuis le début de la crise actuelle en Thaïlande, en juillet 1997, les institutions de Bretton Woods et le Groupe des gouvernements des sept pays les plus industrialisés, qui dominent la prise de décision en matière de politique économique internationale, ont suivi une stratégie d’endiguement. Alors que les victimes humaines ne cessent de croître, il est clair aujourd’hui que la stratégie d’endiguement a échoué. Les crises qui frappent l’économie mondiale ont dominé les débats aux réunions annuelles de cette année du FMI et de la Banque mondiale, mais les gouvernements ne se sont pas mis d’accord sur les mesures effectives à prendre. Les pays du G7 doivent agir de concert pour injecter de la demande dans l’économie mondiale afin de prévenir une récession mondiale en restaurant la croissance et en stimulant la création d’emplois. Allant au-delà de la déclaration d’octobre 1998 des ministres des finances et des directeurs des banques centrales, ils doivent également mettre en place un cadre régulatoire pour assurer que la contagion actuelle ne puisse jamais se reproduire. 
 

La nécessité de développer la demande mondiale et l’emploi 

4. Les banques centrales et les ministres des finances des pays de l’OCDE doivent mettre en oeuvre une stratégie coordonnée pour soutenir une demande équilibrée et rétablir la croissance mondiale et la création d’emplois. Cette stratégie doit inclure : 

- De nouvelles réductions coordonnées des taux d’intérêt. Avec le passage à l’Union économique et monétaire, l’Europe a à la fois une responsabilité et une opportunité de soutenir la croissance de la demande ; 
- Une action radicale au Japon pour recapitaliser et réformer les banques, si nécessaire par la nationalisation du système bancaire et l’introduction de réductions fiscales permanentes pour stimuler la demande nationale ; 
- Une expansion ciblée des plans d’investissement dans l’infrastructure afin de soutenir la production et de traiter les problèmes structurels ; dans le cadre de cet effort, il faudrait faire progresser les programmes transeuropéens ; 
- Une aide financière aux pays en développement et en transition qui se trouvent sur la ligne de front de la crise, en mettant l’accent sur l’allégement de la pauvreté, des programmes sociaux et la restructuration de la dette privée et publique, en y incorporant des améliorations de l’Initiative des “Pays pauvres très endettés” du FMI et de la Banque mondiale afin de parvenir à un véritable allégement de la dette des pays les plus pauvres du monde ; 
- Des efforts pour assurer le paiement des arriérés de salaires dus aux travailleurs russes, afin d’alléger un tant soit peu le cercle vicieux qui a conduit à une perte des recettes fiscales et à une prolongation de la crise financière. 
5. Une aide internationale aux économies émergentes, en transition et en développement doit être ciblée sur les pays les plus affectés par la crise et les groupes les plus vulnérables dans ces pays. Le fardeau retombe en grande partie sur les femmes qui, en l’absence de filets de sécurité sociale adéquats, supportent la plus grosse part de responsabilité pour maintenir la famille unie et s’occuper des enfants et des personnes âgées sur la base de revenus familiaux considérablement réduits. Les priorités sont les suivantes : 
- Protéger les budgets de l’éducation et de la santé en assurant que les plus démunis puissent continuer à payer la scolarité de leurs enfants et avoir accès aux soins médicaux essentiels ; 
- Créer et élargir des filets de sécurité sociale afin d’assurer que les personnes sous-employées et sans travail disposent d’un revenu de base pour vivre, notamment en élargissant les programmes d’éradication du travail des enfants soutenus par l’OIT; 
- Promouvoir des programmes de travaux publics qui favorisent l’emploi et élargir les programmes de formation et de recherche d’emploi ; 
- Diminuer les prix des produits essentiels et maintenir le pouvoir d’achat des salaires minimums ; 
- Développer de bons systèmes de relations professionnelles par la promotion d’un dialogue tripartite entre gouvernements, employeurs et syndicats, basé sur le respect des normes fondamentales du travail de l’OIT.
Une commission internationale sur la réglementation des marchés financiers internationaux 

6. La crise actuelle a révélé de graves faiblesses dans le système financier international. Le risque et les effets de contagion systématiques amplifient et transmettent des chocs partout dans le monde. Ni le “système d’alerte rapide” tant vanté du FMI ni les principes fondamentaux du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire n’ont eu d’incidence sur cette très grave crise de la mondialisation. S’il est vrai que l’établissement de fonds d’urgence pour les économies émergentes est à la fois souhaitable et représente une mesure importante, les initiatives du G7 d’octobre 1998 restent inadéquates. Rétablir une croissance à long terme demandera une reconstruction fondamentale de la manière dont les gouvernements, via le réseau des institutions financières internationales et organisations, réglementent et gèrent le marché mondial, et en particulier les marchés financiers. L’objectif doit être de réaménager les marchés financiers afin de faciliter un investissement productif à long terme. 

7. Les banquiers et les responsables des ministères des finances ont débattu derrière des portes closes de la réforme des marchés financiers. Il faut maintenant assurer une participation publique à part entière. Les gouvernements doivent donc établir prioritairement une commission internationale indépendante à large participation mandatée pour rendre compte rapidement des changements institutionnels et politiques nécessaires pour établir un cadre international de réglementation efficace et un nouvel ordre financier. Les questions qui réclament une décision rapide sont les suivantes : 

- Assurer une meilleure coordination de la politique fiscale et monétaire entre les blocs émergents de monnaies centrales que sont le dollar, le yen et l’euro pour générer des parités plus stables, parallèlement à la suppression progressive des importants déficits à long terme des comptes courants et des importants surplus ; 
- Reconnaître le droit des Etats à contrôler les entrées et les sorties des capitaux étrangers à court terme dans l’intérêt de la stabilité macro-économique nationale ; 
- Conclure un accord sur des normes internationales contraignantes pour la réglementation prudentielle des marchés financiers couvrant des critères en matière de réserve de capitaux, des limites des risques encourus à court terme par les devises étrangères, des contrôles du commerce des “dérivés” et d’autres types d’investissements à fort degré d’endettement, fondés sur le crédit ; 
- Garantir la transparence des systèmes bancaires et leur obligation de respecter des critères effectifs de divulgation ; 
- Améliorer les informations sur les flux des devises, les dettes privées et les réserves; 
- Envisager sérieusement la mise en oeuvre d’une taxe internationale sur les transactions en devises étrangères ; 
- Alléger considérablement la dette des pays en développement les plus pauvres tel que l’a proposé la campagne Jubilé 2000, y compris les pays souffrant des suites de catastrophes naturelles comme l’ouragan Mitch.
8. De meilleures normes sont nécessaires pour la gestion des entreprises et les lignes directrices concernant le gouvernement d’entreprise, élaborées à l’OCDE, doivent inclure les propositions syndicales visant à établir une responsabilité importante des entreprises à l’égard de toutes les parties en jeu dans la société. Il faut également intensifier l’action entreprise pour combattre la corruption sur la base des instruments de l’OCDE et cette action doit être mise en oeuvre en coopération avec les partenaires sociaux. 
 

Changer la face sociale de la mondialisation 

9. La crise a démontré le danger d’ignorer la dimension sociale de la mondialisation. Les stabilités financière et sociale sont étroitement liées. Des politiques de stabilisation qui entraînent des explosions sociales seront vouées à l’échec et nuiront à la crédibilité du FMI et de la Banque mondiale. Un dialogue social entre gouvernements, syndicats, employeurs et autres organes représentatifs est également nécessaire pour établir un consensus sur les objectifs de développement social et économique et sur leurs moyens d’action nationaux. Des institutions sociales solides, dont des syndicats libres, sont essentielles au développement des ressources humaines et à l’arbitrage des différends concernant l’allocation des ressources. 

10. Un avantage comparatif ira aux pays qui ont une cohésion sociale forte, fondée sur l’investissement dans l’éducation, la formation et les soins de santé, et qui disposent d’un système de relations professionnelles sain, fondé sur des normes fondamentales du travail. Les pays qui réussiront le mieux, tant dans le monde développé que dans le monde en développement seront ceux qui disposent d’institutions capables d’équilibrer et de rééquilibrer constamment les pressions de la flexibilité et du dynamisme et les pressions sociales en matière de sécurité et de dignité. Les populations doivent avoir leur mot à dire sur les conditions d’emploi qui les affectent ainsi qu’en matière de développement économique. 

11. Une nouvelle architecture pour la stabilité financière mondiale et le développement durable doit inclure un code social. Cette action doit également inclure : 

- Une réforme du FMI et de la Banque mondiale, telle que réclamée par le Sommet des Nations unies de Copenhague pour le développement social, afin que les programmes d’ajustement structurel encouragent la bonne gestion et le respect des droits humains et des normes fondamentales du travail, une croissance de l’emploi et une réduction de la pauvreté, plutôt que les politiques actuelles d’austérité ; 
- La mise en oeuvre par toutes les institutions internationales concernées de la Déclaration de l’OIT sur les principes et droits fondamentaux au travail ; 
- Un débat actif à l’OMC pour assurer que la réunion ministérielle de l’OMC, en 1999, inclue les normes fondamentales du travail comme sujet de négociation lors de tout nouveau cycle de négociations commerciales ; des mesures pratiques pour renforcer la coopération entre l’OIT et l’OMC ; et la prise en compte des normes fondamentales du travail dans les examens des politiques commerciales par l’OMC ; 
- Les enseignements de l’échec des négociations sur l’AMI, de sorte qu’à l’avenir les règles multilatérales sur l’investissement international équilibrent les responsabilités des investisseurs et non seulement leurs droits, y compris entre autres des obligations de respecter les normes fondamentales du travail.
12. Prévenir un effondrement mondial et construire les bases de la relance et du développement durable est un défi posé aux dirigeants des principales démocraties du monde industrialisé et développé. La mondialisation est le fait des hommes et non une force de la nature même si, à l’heure actuelle, elle donne souvent l’apparence d’échapper à tout contrôle. Le monde pourrait retourner au nationalisme et à l’isolationnisme. Toutefois, une telle tendance empêcherait tout effort mondial pour éliminer la pauvreté et déstabiliserait les relations internationales et la recherche de la paix, de la sécurité et du désarmement. La véritable question qui se pose à la communauté internationale est de savoir s’il existera une volonté politique pour créer des politiques internationales et des institutions aptes à gérer le processus de la mondialisation au service des besoins et des aspirations des populations. 

   

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