TRADE UNION STATEMENT

 

 

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"CROISSANCE, EMPLOI ET INTEGRATION SOCIALE"
DECLARATION SYNDICALE A LA CONFERENCE DES MINISTRES DES FINANCES ET DU TRAVAIL DU G8 SUR L'EMPLOI
Londres, 21 - 22 février 1998 

 
 
 
 

Asie - La crise de la mondialisation

1. La crise asiatique est une crise mondiale qui dépasse les limites des marchés financiers. Des usines ont commencé à fermer leurs portes et on assiste à des licenciements collectifs. Les travailleurs immigrés sont rapatriés. Cette crise risque d'entraîner une violente réaction politique accompagnée d'une dégradation des droits de l'homme et du développement d'une instabilité politique. Les travailleurs et leurs familles payent le prix de l'échec des régimes politiques corrompus, de la médiocrité de la gestion économique internationale et du capitalisme de copinage. La crise risque également de se propager et de se communiquer à l'économie mondiale, en particulier si la région n'a d'autre choix que d'exporter les moyens qu'elle a utilisés pour sortir de la crise. Au cours de la dernière décennie, l'Asie a été le moteur de l'économie mondiale. En se fondant sur une estimation prudente, on peut dire que la crise actuelle risque d'anéantir un tiers de la croissance anticipée pour 1998, dans la zone OCDE - ce qui fera toute la différence entre la hausse et la baisse du chômage dans un grand nombre de pays.

2. La Conférence de Londres sur l'Emploi représente la première occasion, pour une assemblée intergouvernementale ministérielle, de réagir. Les ministres ne peuvent pas esquiver la crise. Ils doivent lancer une action et :

- mettre en oeuvre une stratégie coordonnée de croissance mondiale pour maintenir une croissance équilibrée et une demande intérieure soutenue, notamment en Asie (§ 4) ;

- créer une Commission internationale qui aura pour mission de formuler rapidement des recommandations en matière de réglementation des marchés financiers internationaux, par le biais de la Banque des Règlements internationaux, du FMI et de l'OCDE (§ 5-6) ;

- réformer les structures et les politiques du FMI et de la Banque mondiale afin de garantir le respect des normes fondamentales du travail et des droits de l'homme et de donner une dimension sociale aux programmes de redressement (§ 7-8) ;

- veiller à ce que le système mondial d'échanges et d'investissements garantisse les normes fondamentales du travail, démarche qui se vérifiera tout d'abord par l'inclusion de normes du travail et de l'environnement contraignantes dans l'Accord multilatéral sur l'Investissement qui est en cours de négociation à l'OCDE (§ 9) ; 

- mettre en oeuvre une stratégie en matière d'employabilité et d'intégration sociale grâce à la création d'emplois de qualité, à l'apprentissage à vie, à la mise en place d'un partenariat pour le changement sur le lieu de travail, à des mesures actives visant le marché du travail, à la lutte contre les bas salaires et à la suppression des "pièges" du chômage et de la pauvreté dans les systèmes de prestations sociales (§ 10).

3. Les syndicats constituent un élément majeur du fonctionnement d'une société civile et sont essentiels à la réussite de ces mesures. Il faut tout d'abord garantir les droits fondamentaux des travailleurs à l'échelle mondiale et mettre au point un marché du travail et des systèmes de sécurité sociale fonctionnant correctement, afin de gérer le changement structurel d'une manière acceptable par la collectivité. Les syndicats sont nécessaires pour assurer la protection des travailleurs face à l'insécurité croissante, contrôler la propagation des emplois précaires, aider à lutter contre les bas salaires et intégrer les groupes minoritaires dans la société. Dans leurs stratégies de négociation collective les syndicats ont pris l'initiative, lors des négociations, de donner priorité à l'emploi. Dans une grande partie de la zone OCDE, ces dix dernières années ont été marquées par la modération des salaires. Nombreux sont les pays où les syndicats participent activement à la mise en oeuvre de systèmes pour assurer l'apprentissage à vie, et à l'application de mesures actives visant le marché du travail. Au niveau de l'entreprise, ils jouent un rôle capital pour permettre aux travailleurs de se faire entendre lorsqu'il est question de changements structurels et technologiques. Les pouvoirs publics et les employeurs doivent accepter et encourager la coopération active des syndicats pour gérer les changements dans l'entreprise.

Une stratégie coordonnée de croissance mondiale

4. Le risque qui menace l'économie mondiale à la suite de la crise asiatique est la déflation. Il est nécessaire d'assurer une véritable coordination économique afin de soutenir la demande intérieure et de stimuler la croissance. Il faut maîtriser les effets de récession de la crise actuelle et pour ce faire :

- les Banques centrales des pays dont la monnaie est en hausse devraient prendre des mesures en vue de rétablir les parités monétaires qui reflètent les données fondamentales de l'économie ;

- au Japon, il faut accroître la consommation intérieure et développer les investissements publics ; - aux Etats-Unis, il faut maintenir une politique monétaire d'accompagnement ;

- en Europe, il existe des possibilités de croissance plus rapide sans inflation. Une action concertée est nécessaire pour fixer et maintenir de faibles taux d'intérêt réels et il faut mettre en place, avec la constitution de l'Union monétaire européenne, un cadre efficace favorable à la croissance et à l'emploi en vue d'atteindre les objectifs d'emploi qui ont été fixés lors du Sommet de l'Union européenne sur l'Emploi, à Luxembourg ;

- il faut mettre au point des programmes d'infrastructure trans-européens ;

- en Russie, le gouvernement doit sortir du cercle vicieux de la crise financière qui provoque le non paiement des salaires et se traduit par des moins-values de recettes fiscales et une aggravation de la crise financière ;

- les participants au G8 doivent unir leurs efforts afin de stimuler la demande dans les pays en voie de développement.

Une structure de contrôle pour les marchés financiers mondiaux

5. La crise financière asiatique a révélé que le système destiné à maîtriser l'instabilité découlant de la crise au Mexique, a été un échec. Il est indispensable de doter le système financier international d'une nouvelle architecture avant que ne s'aggrave le préjudice causé à la croissance à long terme de l'emploi et à la sphère réelle de l'économie.

6. Le G8 devrait créer une Commission internationale pour rendre compte rapidement des changements institutionnels et des réorientations nécessaires à la mise en place d'une structure réglementaire internationale efficace. Cette Commission devrait aborder les points suivants :

- le rôle de la Banque des Règlements internationaux (BRI), du FMI et de l'OCDE ;

- la certification des marchés financiers offrant des risques acceptables et les contrôles prudentiels ;

- l'extension de la portée des obligations de transparence, de publication d'information et de réserves suffisantes imposées aux banques ;

- une taxe internationale sur les transactions de devises ;

- des obligations de dépôt minimum pour freiner les flux monétaires à court terme.

Réformer les institutions financières internationales 7. Il est urgent de réexaminer le rôle du FMI et de la Banque mondiale, comme l'a demandé le Sommet des Nations Unies pour le Développement social, réuni à Copenhague, de telle sorte que les programmes de prêt aux pays qui ont des difficultés de balance des paiements, se fondent sur la bonne gestion des affaires publiques et le respect des droits de l'homme, l'accroissement de l'emploi et la diminution de la pauvreté et non pas sur l'austérité et la déréglementation. Les politiques mal inspirées du FMI en matière de taux d'intérêt élevés dans certains pays d'Asie ont aggravé les crises d'ajustement par de sérieuses récessions. Les programmes entrepris en coopération avec l'OIT doivent encourager le respect des normes fondamentales du travail et des droits de l'homme.

8. Le Sud-Est asiatique a connu des années miraculeuses qui ont dissimulé son échec dans la mise en place d'institutions du marché du travail - et de syndicats en particulier - solides, démocratiques et participatives. Les bonnes mesures à prendre en vue de faire face à la crise dépendent de l'utilisation de tous les moyens disponibles pour corriger ce déficit démocratique ; autrement, on risque d'assister à une violente réaction contre les programmes d'ajustement structurel imposés et contre les institutions elles-mêmes.

Les normes du travail, fondement de la stabilité politique et de la démocratie

9. La sincérité des gouvernements en matière de normes du travail sera rapidement mise à l'épreuve dans le cadre des négociations de l'Accord multilatéral sur l'Investissement (AMI) au sein de l'OCDE. L'AMI doit comporter une clause contraignante obligeant les gouvernements à ne pas attirer l'investissement par le biais de la suppression ou de la non application des normes nationales du travail et des droits fondamentaux des travailleurs, reconnus à l'échelon international. Un groupe de travail doit également être établi à l'OMC afin de veiller à ce que le système international d'échanges garantisse les droits fondamentaux des travailleurs. 

"Employabilité" et intégration sociale : le point de vue d'une politique intégrée

10. Pour que la croissance se traduise par des emplois, il faut des marchés du travail adaptables qui encouragent l'innovation, facilitent les investissements en capital humain dans l'ensemble de la population active et pendant toute la durée de la vie active, luttent contre l'exclusion sociale et produisent des résultats équitables et rationnels. Ce scénario est bien différent de la déréglementation grossière des marchés du travail qui accroît les inégalités, diminue la protection des emplois et entraîne davantage d'insécurité. Dans le cadre de ce processus de changement, il faut mettre les travailleurs en confiance et qu'ils se sentent en sécurité. Le rôle des syndicats est fondamental pour parvenir à ce résultat et ils sont disposés à travailler avec les pouvoirs publics et les employeurs s'il existe un programme d'action positif en faveur du changement. Il faut également que les travailleurs aient confiance dans les systèmes de sécurité sociale et de politique du marché du travail pour qu'ils puissent investir dans la formation, le recyclage et qu'ils acceptent le changement. A cette fin, il faut élaborer des politiques intégrées :

- Création d'emplois. Le potentiel de création d'emplois est pratiquement illimité dans les secteurs où les besoins sociaux ne sont pas satisfaits. Il y a une demande croissante de soins de proximité de meilleure qualité pour les personnes âgées et pour les enfants d'âge préscolaire. Les défis à relever dans les domaines de l'éducation, des soins de santé et du développement durable peuvent aussi entraîner la création de nouveaux emplois. Lorsque le marché ne peut pas répondre à ces besoins, l'action des pouvoirs publics et les mesures actives en faveur de l'emploi doivent combler ce déficit. Il existe des domaines où de nouveaux systèmes novateurs d'intervention des pouvoirs publics (aide à l'emploi, redevances d'utilisation et marchés publics) peuvent permettre au secteur public d'identifier des besoins à satisfaire en associant prestations publiques et privées. Des méthodes novatrices peuvent être adoptées également dans le secteur social et le secteur coopératif. 

- Mesures actives visant le marché du travail. Elles doivent chercher essentiellement à remettre les chômeurs au travail le plus rapidement possible et, lorsqu'elles réussissent, elles sont de loin préférables à une garantie de ressources reçue dans la passivité. Toutefois, leur efficacité est optimale en présence d'une forte demande de main d'oeuvre. Elles doivent avoir un caractère anticipatif - et permettre le recyclage et les mesures de placement avant que le changement ne se produise et sans aucun doute, avant d'entrer dans le chômage de longue durée. L'expérience a montré que la meilleure solution consiste à établir un lien entre les services de l'emploi, les organismes de formation et les services décentralisés. Il est capital que les syndicats participent à l'élaboration et à la mise en oeuvre de ces mesures.

- Mise en oeuvre de l'apprentissage à vie. Il faut instaurer un "partenariat social" impliquant la participation des syndicats, des employeurs, des parents et des enseignants pour que l'apprentissage à vie devienne une réalité et ne reste pas simplement un slogan creux. Il faut en particulier :

. un accroissement de l'investissement public dans l'enseignement de base, ciblé sur l'amélioration de la qualité du système éducatif et visant en particulier les élèves susceptibles d'abandonner leur scolarité et les défavorisés ;

. la concertation en vue de faire évoluer et d'améliorer en permanence les pratiques éducatives ;

. l'élargissement de l'accès à l'enseignement postscolaire et supérieur et la prise en compte de la formation des adultes ;

. l'introduction de critères comparatifs de performances des entreprises de formation et de recyclage ;

. la participation des syndicats à l'élaboration, au suivi, à l'évaluation et à la promotion des systèmes relatifs à la certification des qualifications et des compétences ;

. le développement des plans de rotation du travail entre les chômeurs de longue durée et les travailleurs souhaitant prendre un congé de formation ;

. la création de banques de formation à l'intention des petites et moyennes entreprises, avec la participation des partenaires sociaux.

- Un partenariat pour le changement sur le lieu de travail. Les entreprises doivent fonder leurs stratégies de compétitivité sur la mise en place de "lieux de travail à haute performance et faisant une large place aux connaissances" grâce à l'innovation technologique et aux nouveaux modes d'organisation du travail fondés sur des compétences plus élevées et plus diversifiées, des relations professionnelles d'une grande fiabilité et moins hiérarchisées. Trop peu d'entreprises ont suivi cette voie et un trop grand nombre demeurent obsédées par l'idée de la flexibilité à court terme qui se caractérise par des réductions d'effectifs, la déstratification hiérarchique, et la sous-traitance. La crainte et l'insécurité règnent dans l'entreprise ; la formation est négligée et les travailleurs manifestent plus d'opposition que d'enthousiasme face au changement. Il faut que les syndicats soient reconnus et puissent unir leurs efforts à ceux des travailleurs pour faire en sorte que le changement sur le lieu de travail s'opère dans des conditions optimales. Les pouvoirs publics peuvent prendre des dispositions pour faciliter ce changement. Ils devraient créer un climat de sécurité en instaurant une garantie de droits fondamentaux de l'emploi. En associant politique novatrice et mesures d'incitation, ils peuvent encourager la bonne pratique en matière de changement sur le lieu de travail.

- Gérer l'aménagement du temps de travail et la prolongation de l'apprentissage. Les gains de productivité des entreprises devraient être plus largement répartis sous forme d'une diminution générale du temps de travail et de création d'emplois.

. Cet objectif est réalisable lorsque les travailleurs participent à la réorganisation du travail et à l'aménagement du temps de travail. Dans le cadre de négociations élargies intervenues dans différents pays et secteurs, les syndicats ont conclu des accords sur des temps de travail flexibles en échange de réductions de la durée du travail.

. Les travailleurs à temps partiel devraient bénéficier des mêmes droits que les travailleurs à temps plein, de manière à mettre le travail à temps partiel sur un pied d'égalité avec le travail à temps plein et éliminer le travail à temps partiel et le travail temporaire involontaires. Il serait ainsi plus facile de réaliser un partage socialement acceptable du travail et possible de choisir volontairement le travail à temps partiel. 

. L'exploitation grossière sous forme de "contrats à heure zéro" et d'emplois occasionnels doit être réglementée.

. L'économie "fondée sur le savoir" et l'orientation vers une société de l'information exigent d'allonger le temps d'apprentissage des travailleurs pour qu'ils puissent s'adapter au changement structurel et aux innovations en matière d'organisation des entreprises. Il serait donc utile que la réduction et l'aménagement du temps de travail servent aussi à consacrer plus de temps à l'apprentissage et à la formation par, et dans, les entreprises ce qui peut véritablement faire partie d'une stratégie de l'apprentissage à vie.

- Supprimer les bas salaires. Augmenter le nombre d'emplois à bas salaire n'est pas une solution acceptable au problème du chômage. Les chômeurs pauvres se transforment en travailleurs pauvres et pays et entreprises élaborent des stratégies de concurrence fondées sur des bas salaires et une organisation du travail désuète. Les travailleurs à bas salaires restent souvent bloqués dans ces emplois, la pauvreté des ménages s'intensifie et la cohésion sociale se trouve menacée. Il y a lieu de mettre au point une stratégie de création d'emplois et de lutte contre les bas salaires et l'exclusion sociale. Il faut, pour fixer les salaires plancher qui éliminent l'exploitation des travailleurs à bas salaires, reconnaître le rôle que doivent jouer les salaires minimums fixés par la loi et par les négociations collectives. Un salaire plancher fixé de manière équitable peut encourager l'adoption concertée de mesures destinées à améliorer la productivité des travailleurs, notamment dans les secteurs à bas salaires. L'expérience d'un certain nombre de pays a révélé que les salaires minimums peuvent permettre de lutter efficacement contre la pauvreté sans porter préjudice aux perspectives d'emploi. Le système des prélèvements et prestations a un rôle complémentaire important à jouer. Dans certains pays, les systèmes de crédits d'impôt se sont révélés efficaces pour diminuer la pauvreté des ménages à faibles revenus. Ils représentent une forme essentielle de solidarité mais non pas une panacée pour régler tous les problèmes d'inégalité occasionnés par le marché du travail.

Conclusion

11. Il incombe à la réunion des ministres des Finances et du Travail du G8, réunis à Londres, d'assurer la bonne gestion de la nouvelle économie mondiale. Dans la perspective du Sommet de Birmingham, les ministres doivent prendre des mesures de gestion économique en vue de reconstruire les liens entre le système financier international et l'économie réelle et entre le développement économique et la cohésion sociale. 

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