1996 - DECLARATION SYNDICALE

 

 


  English text

DECLARATION SYNDICALE
A L'INTENTION DE LA CONFERENCE DU "G7"
SUR L'EMPLOI

Lille - Avril 1996

Contexte

  1. Plusieurs pays du Groupe des Sept enregistrent à nouveau une hausse des taux de chômage, après quelques légères baisses observées à la suite des niveaux records qui ont accompagné la récession du début des annnées 90. Les deux fléaux que sont le chômage et la pauvreté des travailleurs dégradent les individus, les sociétés et les économies. Il faut que les principaux pays industrialisés mettent en Ïuvre une stratégie visant à créer davantage d'emplois et de meilleure qualité, qu'ils assurent aux travailleurs la possibilité d'acquérir les compétences nécessaires, et qu'ils protègent les catégories de la population les plus défavorisées et les plus vulnérables dans la société. Le haut niveau des taux d'intérêt réels, la réduction des dépenses publiques, et la déréglementation du marché du travail ont eu un effet inverse. L'affaiblissement des stabilisateurs économiques, l'insécurité croissante, et la crainte du chômage risquent maintenant de déclencher une nouvelle récession.
  2. Il ne s'agit pas de considérations opportunes pour exploiter les avantages potentiels du changement technologique et de l'émergence de "la société mondiale de l'information". Les vrais obstacles à l'exploitation des nouvelles technologies et à l'innovation sont : le durcissement des politiques économiques, les tendances déflationnistes que les marchés financiers internationaux ont introduites dans l'économie mondiale, l'absence d'investissement dans les compétences et les capacités des travailleurs, l'insuffisance de la concertation entre patronat et travailleurs au niveau de l'entreprise, le confinement des techniques de pointe dans une minorité d'entreprises, et le manque de volonté de réduire et réaménager le temps de travail.


"Alliance des pays du G7, pour l'emploi"

  1. La Conférence sur l'emploi, à Lille, doit exprimer clairement l'engagement du G7 de soutenir, par des actions concrètes, une stratégie en faveur de l'emploi et de la croissance économique. Autre message à adresser : les économies dominantes vont rivaliser sur les marchés mondiaux sur la base d'emplois bien rémunérés et de haute productivité. Les hommes et les femmes qui travaillent ont besoin - au moins autant que les marchés financiers - de la crédibilité des politiques gouvernementales. Dans plusieurs pays européens, les syndicats ont pris l'initiative de proposer et de négocier des pactes pour l'emploi. Les employeurs, les gouvernements et les banques centrales doivent maintenant accepter leurs responsabilités en concertation avec les travailleurs. Il faut que les gouvernements du G7 s'engagent dans "une alliance pour l'emploi", reposant sur quatre piliers  :
  2. la mise en Ïuvre d'un programme économique coordonné pour écarter le retour de la récession, comprenant : une très forte réduction des taux d'intérêt, une vaste série de réformes des marchés financiers, et un reciblage des dépenses structurelles (§ 4 à 8) ;
    une action d'envergure, qui créera des emplois de haute qualité en encourageant l'adaptation et l'innovation au niveau de l'entreprise; cette initiative fera jouer la participation des travailleurs, l'investissement dans les compétences, la diffusion d'une bonne pratique, et de nouvelles dispositions pour réduire et réaménager le temps de travail (§ 9 à 22) ;
    la sauvegarde de niveaux de revenus convenables, et des système de protection sociale, tout en intensifiant les efforts pour insérer les groupes vulnérables dans le marché du travail (jeunes et chômeurs de longue date) (§ 23 à 25) ;
    et le lancement d'un "nouveau contrat" (New Deal) en faveur des pays en développement, pour une croissance durable, soutenue par des clauses sociales dans les accords sur le commerce et l'investissement, afin de créer une relation obligatoire entre développement économique et progrès social (§ 26 à 29).

Les pays industrialisés sont beaucoup plus riches qu'ils ne l'étaient dans les années 30, au moment de la grande crise économique, et des ressources peuvent et doivent être mobilisées pour financer ces priorités.


Un programme économique coordonné

  1. La plupart des économies industrialisées sont confrontées à un sévère ralentissement de leur performance, et à la menace d'une nouvelle récession, la croissance économique et l'expansion de l'emploi étant jugulées par les hauts niveaux des taux d'intérêt réels, des coupes budgétaires, et une insécurité croissante. Les perspectives du chômage demeurent absolument inacceptables. L'objectif de l'Union Européenne, qui était de réduire de moitié le nombre des sans-emplois d'ici la fin de la décennie, se trouve sérieusement compromis avec la nouvelle hausse du chômage. L'insécurité d'emploi que ressentent les travailleurs mine la confiance des consommateurs. L'inflation connaît son plus bas niveau depuis des décennies, néanmoins une "illusion d'inflation" colle aux marchés financiers et à de nombreuses banques centrales, qui passent au crible toutes les séries de données économiques pour détecter le moindre signe d'inflation, et renforcer leur foi dans la vigilance des politiques monétaires. Les taux d'intérêt réels, encore trop élevés, jouent à l'encontre de l'investissement productif, de l'innovation et de la création d'emplois. Les mesures de consolidation budgétaire et réductions de dépenses inopportunes renforceront le risque d'émergence d'une nouvelle récession. En Europe, l'interprétation trop rigide des critères de convergence du Traité de Maastricht, relatifs aux déficits publics, risque de détruire les progrès réalisés dans la voie de l'union économique et monétaire.
  2. Pour sortir de ce dilemme, les gouvernements et les banques centrales des pays du G7 doivent mettre en Ïuvre un programme audacieux de réductions coordonnées des taux d'intérêt à court terme, dans le cadre de leur contribution à une "alliance pour l'emploi". En d'autres termes, il faut un retour aux taux d'intérêt réels qui prévalaient dans la période d'après-guerre, et qui peut s'effectuer sans réactiver l'inflation étant donné les marges de ressources inutilisées dont disposent la majorité des économies du G7. Cette action concertée et coordonnée devra entraîner les marchés financiers dans son sillage, avec une réduction des taux d'intérêt à long terme. Il incombe aux gouvernements du G7 de mettre en place un processus de coordination des politiques avec les banques centrales, et sous forme bilatérale, en vue de réduire le chômage dans des proportions notables. Il faut commencer à élaborer toute une série de dispositions réglementant les opérations financières sur le marché mondial, et instituant notamment une redevance sur les transactions internationales. Le message ainsi adressé aux marchés financiers indiquera clairement que les gouvernements ne permettront pas aux taux de change, et autres facteurs financiers d'instabilité, d'entraver l'impact positif des mesures économiques sur la croissance.
  3. Il est important que les gouvernements, en coopération avec le secteur privé, souscrivent à des programmes d'infrastructure offrant la base nécessaire à l'amélioration de l'environnement, et lancent des mesures pour stimuler la R. & D. et l'innovation. En Europe, les programmes d'investissement dans l'infrastructure transfrontière proposés dans le Livre Blanc doivent être mis en Ïuvre.
  4. Ce programme jouerait un rôle de catalyseur pour la croissance économique et l'expansion de l'emploi. Les entreprises effectueraient les investissements les plus nécessaires, programmeraient des projets novateurs et des créations d'emplois, au lieu d'en supprimer et de réduire leur propre dimension. D'autre part, les travailleurs donneraient l'impulsion attendue à l'activité économique en augmentant leurs dépenses de consommation.
  5. Les déficits publics peuvent être atténués dans le moyen terme en réduisant l'écart entre taux de croissance et taux d'intérêt; l'intérêt de la dette publique s'en trouverait diminué. Les pays de l'Union Européenne pourraient ainsi se préparer pour l'UEM sans menace déflationniste pour leur économie, tout en permettant aux plus puissantes de réduire leurs déficits budgétaires structurels en période de prospérité. De nouvelles sources d'imposition peuvent aussi être exploitées, notamment les transactions financières internationales, et l'environnement.


Réaliser l'adaptabilité des marchés du travail

  1. Au cours de la dernière décennie, les institutions de négociation salariale et de protection du salaire minimum dans la plupart des pays du G7 ont été affaiblies, les inégalités de salaires et de revenus accrues, la protection de l'emploi amoindrie, l'éligibilité aux prestations de chômage durcie tandis que leurs niveaux baissaient. Les employeurs déclarent maintenant que : "... la flexibilité des marchés du travail est devenue la règle et non l'exception dans la quasi-totalité des pays membres de l'OCDE ..."(1) . Mais ce changement n'a pas pour autant réduit le chômage. Au contraire, face aux incertitudes économiques, de nombreuses entreprises ont profité de leurs nouvelles libertés pour réduire leurs opérations et diminuer leurs investissements en capital physique et humain. On est arrivé à une situation où une pression chronique du travail et des horaires sur les travailleurs coexiste avec un chômage considérable. L'insécurité que ressentent les travailleurs et les consommateurs ne contribue pas seulement à entretenir un malaise social, elle aggrave également la crise économique.
  2. La Conférence de Lille doit ouvrir la voie à une approche nouvelle permettant de gérer le changement et de stimuler l'innovation au niveau de l'entreprise. Il appartient aux pays du G7 d'utiliser les nouvelles technologies et l'innovation pour rivaliser sur la base de produits de haute qualité, et d'emplois à forte productivité demandant des connaissances de haut niveau. Le mouvement syndical a proposé un programme d'adaptabilité positive, propre à faire progresser les économies et à maintenir la cohésion sociale. Il comprend les éléments suivants :


L'apprentissage à vie pour tous les travailleurs

  1. Les Ministres de l'Education des pays de l'OCDE, réunis en janvier 1996, ont appelé à un "partenariat social", impliquant la participation des syndicats, des employeurs, des parents et des enseignants, pour faire de l'apprentissage à vie une réalité. Il faut maintenant passer aux actes, et notamment envisager  :
  2. un accroissement de l'investissement public dans l'enseignement de base, ciblé sur l'amélioration de la qualité du système, visant en particulier les abandons potentiels de scolarité et les défavorisés ;
    la concertation pour les changements continuels et l'amélioration des pratiques éducatives ;
    l'élargissement de l'accès à l'enseignement post-scolaire et supérieur ;
    l'implication des partenaires sociaux dans l'élaboration, le suivi, l'évaluation et la promotion des systèmes relatifs à la certification des qualifications et des compétences, garantissant aux individus leur vie durant le caractère transférable de leurs acquis ;
    la création de banques de formation à l'intention des petites et moyennes entreprises impliquant la participation des partenaires sociaux.


La concertation pour gérer le changement sur le lieu de travail

  1. Pour maintenir leur compétitivité dans un monde profondément instable, les entreprises doivent devenir "des lieux de haute performance" par le biais de l'innovation technologique et de nouveaux types d'organisation du travail, basés sur des compéptences plus élevées et plus diversifiées, des relations professionnelles fiables et moins hiérarchisées. L'active implication des travailleurs et des syndicats assure des gains de productivité et d'emplois.
  2. Seule une minorité d'entreprises a suivi cette voie; beaucoup d'autres demeurent obsédées par l'idée de la flexibilité, et finissent par réduire leur taille, procéder à des dégraissages, et recourir à la sous-traitance. L'exploitation, la peur, l'insécurité, règnent sur le lieu de travail; la formation est négligée, et les travailleurs manifestent plus d'opposition que d'enthousiasme face au changement. Les travaux de l'OCDE ont démontré que des lacunes au niveau des dirigeants constituent un obstacle majeur aux emplois hautement performants.
  3. Il est essentiel que les gouvernements fixent un objectif pour que toutes les entreprises puissent devenir "des lieux de travail de haute performance" au tournant de l'an 2000. Cet objectif est ambitieux mais nécessaire pour contribuer à réduire le chômage et à allier compétitivité et bon emploi. Pour réaliser cet objectif, il faut que les gouvernements encouragent la réorganisation des entreprises, avec la participation des travailleurs, en utilisant une double stratégie. D'une part, ils doivent abandonner la stratégie qui conduit à une flexibilité et une insécurité sans cesse grandissantes, faisant jouer des facteurs externes à l'entreprise - et qui a échoué; en revanche il est indispensable de créer un climat sécurisant au moyen d'un ensemble de dispositions législatives garantissant le respect des droits des travailleurs. D'autre part, au moyen d'une conjugaison de politiques d'innovation, de mesures fiscales, et de systèmes alliant aides et prélèvements, les gouvernements peuvent promouvoir une bonne pratique. Aux employeurs incombe l'adoption de cette approche pour créer des emplois de qualité.


La réduction et l'aménagement du temps de travail, l'extension de l'apprentissage

  1. Au cours des quinze dernières années, la durée moyenne du travail par salarié a augmenté dans plusieurs pays du G7; dans les autres, la baisse historique de cette durée a ralenti. Ces tendances aggravent la situation de l'emploi. Les gains de productivité des entreprises devraient être plus largement ventilés en faveur de la réduction générale du temps de travail et de la création d'emplois. Cet objectif est réalisable par une prise de décision concertée sur la réorganisation du travail et l'aménagement du temps de travail. Dans le cadre de négociations élargies, les syndicats ont conclu des accords sur des temps de travail flexibles, en échange de réductions de la durée du travail.
  2. Les heures de travail supplémentaires systématiques doivent être éliminées. Si les entreprises étaient obligées d'engager de nouveaux travailleurs au lieu de recourir aux heures supplémentaires, une proportion considérable de celles-ci pourrait se traduire par de nouveaux emplois. En principe, les heures de travail supplémentaires exceptionnelles devraient être récupérées ultérieurement par un temps de repos compensatoire.
  3. L'économie "basée sur les connaissances" et l'orientation vers une société de l'information demandent aux travailleurs un temps d'apprentissage plus long pour s'adapter au changement structurel et aux innovations en matière d'organisation. Il serait donc utile que la réduction et l'aménagement du temps de travail servent aussi à consacrer plus de temps à l'apprentissage et à la formation par, et dans, les entreprises.
  4. Les travailleurs à temps partiel devraient bénéficier des mêmes droits que les travailleurs à temps plein. Les formes de travail atypiques, temps partiel, travail temporaire, mises sur un pied d'égalité avec le travail à temps plein faciliteraient un partage socialement acceptable du travail, et la possibilité de choisir volontairement le travail à temps partiel. Une approche modulée du départ en retraite serait également opportune dans le cadre d'une stratégie de durée globale de la vie professionnelle.


L'expansion de l'emploi dans le secteur des services sur la base de salaires et de conditions de travail décents

  1. Le potentiel de création d'emplois est pratiquement illimité dans les secteurs où les besoins sociaux sont insatisfaits. L'évolution démographique entraîne une demande accrue de services de soins pour les personnes âgées. Le développement de l'activité professionnelle des femmes augmente les besoins en services de garde pour les enfants d'âge pré-scolaire. L'éducation, les services de santé et la protection de l'environnement sont autant de sources nouvelles de création d'emplois. La plupart de ces services tombent directement sous la tutelle du secteur public. A l'avenir, il incombera à ce secteur de continuer à générer des emplois, non seulement en tant qu'employeur, mais aussi comme régulateur et promoteur de l'emploi dans le secteur privé. Il existe des domaines où de nouveaux systèmes novateurs d'intervention des gouvernements et d'assistance peuvent permettre au secteur public d'identifier des besoins à satisfaire par une conjugaison de prestations publiques et privées. Dans certains pays, des approches novatrices ont été adoptées dans les secteur social et coopératif, ainsi que dans le cadre d'initiatives locales d'emploi. Mais que les services soient de nature publique ou privée, il appartiendra au secteur public de garantir le respect de normes déterminées. Les qualifications et les capacités des travailleurs dans ces secteurs sont souvent élevées, tout comme la productivité. Des systèmes d'évaluation doivent par conséquent être adaptés pour refléter le niveau réel des compétences et l'accroissement de la productivité de ces emplois. Le faible niveau salarial des professions "dites féminines" ne sera plus accepté à l'avenir. La société doit prévoir un prix équitable pour la prestation des services.


Le "double dividende" de l'amélioration de l'environnement et de la stabilité de l'emploi

  1. Depuis longtemps, les syndicats font observer que le développement durable ne peut qu'aller de pair avec des politiques d'emploi stable. Les nations et les entreprises qui l'emportent sont celles qui ont renforcé les liens entre mesures pour la protection de l'environnement et besoins en matière d'emploi, et qui ont investi dans le contrôle de la pollution, la technologie de l'environnement et la formation des compétences pour l'environnement. Il reste encore beaucoup à faire pour stimuler l'expansion de l'emploi respectueux de l'environnement. Un soutien gouvernemental accru doit être apporté au développement des technologies de l'environnement et à l'industrie des services, y compris aux produits de consommation écologiques, aux sources d'énergie renouvelables et aux biotechnologies de l'environnement.
  2. Un certain nombre de pays industrialisés ont lancé avec succès des programmes d'assainissement et de remise en état du milieu naturel, au niveau local et régional, en vue d'offrir des possibilités d'emploi aux jeunes et aux chômeurs de longue date. D'autres expériences existent, sous la forme de fonds structurels et régionaux qui, assignés à l'amélioration de l'environnement, créent en même temps des emplois.
  3. Il faudrait que les gouvernements des pays du G7 recherchent un "double dividende" en substituant des redevances sur l'exploitation et la consommation des ressources de l'environnement à l'imposition sur le travail. Mais le système de l'écotaxe n'est pas la panacée et un certain scepticisme demeure quant à l'opportunité d'un transfert systématique des taxes. Les nouvelles redevances peuvent avoir des retombées négatives sur l'emploi et les revenus, une incidence sur la compétitivité nationale en l'absence d'accords multilatéraux; et des incertitudes quant à savoir si les ressources de l'environnement fourniront à long terme une base de redevances stable. Outre ces réserves, il est admis que les systèmes actuels de taxation et de réglementation donnent parfois des signaux pervers sur les prix, ce qui entrave l'innovation et décourage l'investissement à long terme dans l'environnement. L'emphase excessive mise, dans les prises de décision financière, sur les coûts de main-d'Ïuvre par rapport à l'utilisation des ressources, constitue aussi un obstacle à une production durable. Il importe donc que le G7 approfondisse l'efficacité des régimes d'imposition qu'appliquent certains pays de l'OCDE, et explore plus en détail les retombées sur l'emploi de la réforme de l'écotaxe.


Recréer la solidarité sociale

  1. "Nous ne pouvons pas édifier une économie efficiente sur les ruines de la solidarité sociale"(2) . Les systèmes de sécurité sociale ne constituent ni un luxe ni une charge, mais une utilité économique. Ils contribuent à la croissance de productivité du secteur privé et peuvent donner un sentiment de sécurité en période de rapide mutation. En tant que stabilisateurs économiques, ces systèmes ont évité que le chômage massif ne conduise à l'effondrement de la consommation, mais le poids croissant du chômage a augmenté leurs coûts et ils sont maintenant l'objet d'attaques de nature idéologique. Lorsque le système de protection sociale est faible ou inexistant, les coûts sociaux du chômage ou de la pauvreté au travail retombent sur la société sous d'autres formes : aggravation de la santé publique, criminalité, détention carcérale accrue.
  2. Dans certains pays du G7, les régimes fiscaux et les systèmes de prestations sociales nécessitent des réformes, afin de créer un tremplin pour l'emploi. Les taux d'imposition moyens et marginaux auxquels sont assujettis les travailleurs à faible revenu doivent être réduits. Mais la réforme ne doit pas démanteler les systèmes de salaires minimaux, en remplaçant ceux-ci par des avantages liés à l'emploi et conjugués à des mesures qui obligent les chômeurs à prendre n'importe quel poste, aussi peu rémunéré soit-il. Ce système conduirait au cercle vicieux salaires médiocres/qualifications médiocres. Il faut au contraire que le régime fiscal et les prestations sociales soient déterminés en fonction d'un système de salaire minimum afin de garantir un débouché sur l'emploi décent.
  3. Les régimes de sécurité sociale doivent faire partie de stratégies plus larges pour réintégrer les groupes les plus vulnérables et les plus défavorisés de la société. Il faudrait que chaque pays du G7, dans le cadre de "l'alliance pour l'emploi", s'engage dans un programme, une sorte de "Plan Marschall pour les jeunes", assurant leur insertion dans des emplois décents, dans des projets de formation ou tous autres projets gouvernementaux constructifs. Pour les chômeurs de longue date, il est plus qu'urgent de leur trouver des emplois afin qu'ils ne perdent pas contact avec le marché du travail. L'expérience danoise, qui permet de destiner à un chômeur de longue date l'emploi laissé vacant par un congé d'éducation/formation, devrait être examinée et adoptée par les pays du G7.


La dimension sociale de la mondialisation

  1. Il appartient aux pays du G7 de décider la mise en Ïuvre d'un programme de réformes (New Deal) en faveur de l'économie mondiale. L'extension des programmes d'aide au développement, de lutte contre la pauvreté et de réduction de la dette est nécessaire pour assurer un développement durable des marchés, qui ont besoin de progresser dans le monde entier. Les besoins sont infinis - enseignement primaire et services de santé, développement des infrastructures, diminution de la pauvreté. La mondialisation croissante des économies exige également des mesures commerciales et des politiques d'investissement, qui reconnaissent les liens fondamentaux avec les droits des travailleurs, les normes de protection de l'environnement, et la nécessité de mettre fin à la corruption. Les pays membres de l'Organisation Mondiale du Commerce devraient s'engager à respecter les droits fondamentaux des travailleurs. La Déclaration publiée à l'issue du Sommet Social de Copenhague confirme qu'il y a maintenant une identité de vues notable sur les droits fondamentaux des travailleurs particulièrement pertinents, tels qu'ils sont exprimés dans les Conventions de l'OIT : la liberté syndicale et la protection du droit syndical, le droit d'organisation et de négociation collective, la protection contre le travail forcé ou obligatoire et l'abolition du travail forcé, la protection des enfants (âge minimum), l'égalité de rémunération entre hommes et femmes, et la protection contre la discrimination en matière d'emploi et de profession.
  2. Ces droits fondamentaux "devraient être reconnus et appliqués par tous les pays indépendamment de leur niveau de développement ou de leurs priorités sociales"(3). Les pays en développement n'ont rien à craindre, au contraire, le respect de ces droits peut favoriser un développement soutenu et équilibré en assurant une plus large participation à la vie économique et politique, d'où une diminution de la polarisation, de l'exclusion et de la corruption. Par contre, il existe de multiples exemples où la concurrence sans merci a très vite supprimé les droits et miné les pays en développement qui cherchaient à suivre la "grande voie" de l'expansion. L'organisation de syndicats reste une tâche difficile et périlleuse dans de nombreuses régions du monde. La mise en place et la pratique accrue du "libre-échange", ainsi que le recours aux "zones franches d'exportation", dans le cadre desquels la protection des travailleurs est minimale ou même proscrite, compromettent encore davantage les droits déjà limités des travailleurs.
  3. La Conférence sur l'Emploi, à Lille, devrait adopter une position ferme en faveur de l'application de ces droits fondamentaux, en apportant son appui à la création du comité conjoint OMC/OIT lors de la conférence de l'OMC qui se tiendra à Singapour, en décembre 1996. Des dispositions commerciales pourraient être considérées comme faisant partie d'une série d'autres mesures comprenant une aide positive pour assurer le respect des droits fondamentaux des travailleurs.
  4. L'Accord Multilatéral d'Investissement (AMI) que l'OCDE s'efforce de négocier constituera un instrument supplémentaire très important dans le système mondial d'investissement multilatéral, couvrant une grande partie de l'investissement direct étranger (IDE). Cette couverture sera encore plus étendue si, comme on l'espère, l'Accord est ouvert aux pays non membres de l'OCDE, dont certains appliquent des normes non conformes à celles des pays membres. Compte tenu de ce facteur, qui est parfois associé aux tentatives de dilution des normes du travail dans certains pays de l'Organisation ou de non-respect de ses Principes directeurs à l'intention des Entreprises Multinationales - en vue d'attirer l'investissement direct étranger - il est essentiel d'introduire les Principes directeurs dans l'AMI. Le soutien des syndicats à un accord d'investissement dépendra de l'incorporation, satisfaisante ou non, des Principes dans cet accord. Ce point de vue devrait être soutenu par les Ministres, lors de leur rencontre à Lille.


(1) Déclaration du BIAC - Comité Consultatif Economique et Industriel auprès de l'OCDE - à la réunion des Ministres de l'Education de l'OCDE, 1996.

(2) Jean-Claude Paye, Secrétaire général de l'OCDE. (Traduction)

(3) Michel Hansenne, Directeur de l'OIT, Mars 1996. (Traduction)


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