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DÉCLARATION SYNDICALE
À LA CONFÉRENCE DU G8 SUR LE TRAVAIL,
À TURIN (1)
Turin, 10-11 novembre 2000
1. La Conférence de Turin sur le travail se tient à un
moment crucial pour les pays du G8 pour quatre raisons. Premièrement,
il existe une possibilité de continuer à réduire le
chômage dans le but de parvenir au plein emploi si l'on peut maintenir
une croissance plus rapide. Cependant, la situation macroéconomique
peut être remise en question comme le montrent les récentes
répercussions des augmentations du prix du pétrole. Deuxièmement,
les conséquences des technologies de l'information et de la communication
ont été l'objet d'un premier examen au Sommet d'Okinawa grâce
à la mise en place d'un Groupe d'experts du G8 sur l'accès
aux nouvelles technologies (GEANT). Cependant, il est nécessaire
que les pouvoirs publics élargissent la panoplie des mesures prises
pour faire face aux conséquences dans le domaine du travail et dans
le domaine social, et prennent des dispositions particulières pour
veiller à ce que le "fossé numérique" ne contribue
pas à accentuer davantage la fracture sociale. Troisièmement,
dans les pays du G8 et au-delà de leurs frontières, l'opinion
publique se préoccupe de plus en plus des effets secondaires préjudiciables
d'une conception de la mondialisation fondée sur la simple déréglementation
des marchés alors que parallèlement, très peu d'efforts
sont déployés pour aider la grande majorité de la
population mondiale qui reste prise au piège de la pauvreté.
Il est essentiel que les ministres du Travail utilisent la Conférence
de Turin comme une occasion de faire savoir clairement qu'ils vont prendre
des mesures dans chacun de ces domaines. Quatrièmement, cette
conférence permet également de faire le point quant aux conséquences,
sur le marché du travail et sur la collectivité, du vieillissement
des populations dans les pays industrialisés et de veiller à
ce que des mesures soient prises pour garantir un accès équitable
du marché du travail aux travailleurs âgés.
Parvenir au plein emploi
2. Pour la première fois dans une génération, il
est possible de revenir au plein emploi. Les pays du G8 semblent amorcer
une période de croissance économique plus rapide ce qui est
le seul facteur le plus important pour la création d'emplois. La
récente expérience des Etats-Unis a montré qu'une
croissance soutenue de la demande peut ramener le chômage en dessous
des estimations artificielles du chômage structurel ce qui peut à
son tour favoriser l'amélioration de la productivité et des
réductions encourageantes - bien que longuement différées
- des inégalités.
3. Dans l'ensemble du G8, les perspectives favorables de croissance
ne peuvent pas être considérées comme un fait établi
car les risques et les incertitudes récentes liés aux augmentations
du prix du pétrole montrent que la situation macroéconomique
reste problématique. Les banques centrales et les ministres des
Finances du G8 doivent adopter et maintenir des politiques monétaires
axées sur la croissance et des politiques budgétaires d'accompagnement.
Ils devraient se tenir prêts à prendre des mesures de grande
envergure au cas où les perspectives de croissance de l'économie
et de l'emploi se détérioreraient. Au sein de leurs gouvernements,
les ministres du Travail du G8 doivent agir comme de puissants porte-parole
partisans de politiques destinées à favoriser la croissance
et à lutter contre la pauvreté. Il est important que le choc
pétrolier actuel ait été absorbé sans avoir
des effets de deuxième tour sur les salaires et les prix. Ceci montre
la priorité que les négociateurs donnent à l'emploi
dans les négociations salariales en cours.
4. La Conférence du G8 sur le travail, à Turin, devrait
entamer un dialogue avec les partenaires sociaux au sujet des mesures nécessaires
pour supprimer tout blocage faisant son apparition au niveau de l'offre
des économies du G8. En ce qui concerne l'Europe, les Directives
sur l'Emploi de la Commission européenne doivent être renforcées.
Les mesures actives visant le marché du travail ainsi que les mesures
relatives à la formation et au recyclage doivent être convenablement
financées et il faut des ressources financières supplémentaires.
5. D'une manière plus générale, il est essentiel
d'intégrer les objectifs sociaux de réduction de la pauvreté
et de plus grande équité aux stratégies économiques
visant à maintenir une croissance plus rapide. Les politiques destinées
à "valoriser le travail" doivent s'appuyer sur l'accroissement des
possibilités d'emplois convenables par le biais de l'intégration
de salaires minimums bien déterminés, de prestations liées
à l'exercice d'un emploi et de stratégies de définition
de profils de carrière pour les travailleurs à bas revenus
grâce à l'augmentation de la productivité et à
l'accès à la formation et au recyclage. Il est indispensable
que les investissements dans les services de garde des enfants et que les
horaires de travail adaptables négociés servent à
garantir l'égalité générale et accroissent
les débouchés professionnels des femmes. Il y a lieu d'introduire
dans les directives sur l'emploi de l'Union européenne davantage
d'objectifs quantitatifs en faveur de l'équité au niveau
des sexes.
Garantir un travail convenable dans l'économie du savoir
6. Il est indispensable de mettre fin au débat stérile
concernant la flexibilité du marché du travail et de dépasser
la notion simpliste de "flexibilité" qui suppose que les travailleurs
doivent renoncer à la protection sociale, aux salaires décents
ou à la sécurité de l'emploi alors que la rémunération
des cadres des entreprises connaît une augmentation explosive. Dans
l'économie du savoir, l'avantage compétitif se trouvera dans
les pays dotés d'une forte cohésion sociale s'appuyant sur
l'investissement dans l'éducation et la formation ainsi que sur
de solides relations professionnelles qui permettent aux travailleurs de
s'exprimer réellement et leur donnent les moyens d'influencer le
changement. Les économies du G8 doivent ouvrir la voie en encourageant
les institutions comme les syndicats qui sont capables de réaliser
un équilibre entre les pressions du marché en faveur de l'adaptation
et du dynamisme d'une part et les préoccupations sociales de sécurité
et de dignité d'autre part.
7. Il faut lutter contre le risque de fossé numérique
qui fait son apparition dans les sociétés de l'OCDE. Les
défis de la "nouvelle économie" sont l'occasion de mettre
en place maintenant un programme d'action destiné à gérer
le changement d'une manière acceptable pour la collectivité.
La décision du Sommet d'Okinawa d'établir un Groupe d'experts
du G8 sur l'accès aux nouvelles technologies (GEANT) et la Charte
d'Okinawa sur la Société mondiale de l'information abordent
la question du fossé numérique et les problèmes sociaux.
La Conférence du G8 sur le travail, à Turin, donne l'occasion
aux ministres du Travail du G8 de commencer à prendre sérieusement
la dimension des technologies de l'information et de la communication au
niveau du lieu de travail et des travailleurs. Avec le concours des partenaires
sociaux, les ministres devraient s'engager à : - investir dans l'éducation
et dans des systèmes de formation adaptés aux besoins d'une
économie fondée sur le savoir ; faire en sorte que "l'apprentissage
à vie" devienne une réalité et un droit très
étendu ; promouvoir des accords entre syndicats et employeurs axés
sur la gestion du changement ; veiller à ce que les travailleurs
et leurs syndicats aient le droit d'accès, sur leur lieu de travail,
aux réseaux d'information et de communication en ligne ; encourager
des méthodes d'organisation du travail qui permettent d'élargir
le contenu des tâches et de valoriser les qualifications ; veiller,
en partenariat avec les syndicats et les entreprises, à ce que les
individus puissent accéder à l'Internet à des conditions
abordables ; garantir une bonne confidentialité et la protection
des données personnelles ; réaffirmer la nécessité,
pour les réglementations professionnelles, de protéger les
travailleurs dans leurs relations avec leur employeur - les nouvelles formes
d'organisation du travail ne doivent pas devenir un moyen de nier les droits
des travailleurs.
Mesures globales visant à améliorer les normes du travail
et à diminuer la pauvreté
8. Les ministres du Travail du G8 doivent faire savoir clairement à
leurs populations et au reste du monde qu'ils vont s'attacher à
définir un ensemble de règles sociales efficaces pour gérer
la mondialisation de manière à réaliser une distribution
plus diversifiée et plus équitable des bienfaits de la croissance.
Il est impossible de donner la parole aux travailleurs dans l'entreprise
si les droits fondamentaux des travailleurs n'existent pas.
9. La conception déséquilibrée de la mondialisation
fondée sur la simple déréglementation des marchés
a conduit à une remise en cause du système multilatéral
d'échanges et d'investissement comme l'a montré l'échec
de l'AMI et de la réunion ministérielle de l'OMC à
Seattle. Pour garantir la légitimité du système, il
faut que la réglementation des échanges et de l'investissement
soit cohérente avec les grandes priorités de l'action publique
telles que la protection de l'environnement et le développement
durable, l'innocuité des aliments et des produits et le respect
des droits fondamentaux des travailleurs. Les pays en développement
doivent être mieux intégrés au processus de prise de
décision de l'OMC et il faut leur élargir l'accès
aux marchés des pays industrialisés dans un contexte de respect
des normes fondamentales du travail. A Turin, les ministres du Travail
du G8 doivent non seulement présenter un programme d'action crédible
afin de construire la dimension sociale de la mondialisation mais aussi
"jeter des ponts" en direction des pays en développement qui ont
de réelles inquiétudes. Pour mener à bien cette entreprise,
il faut mettre en oeuvre et appliquer réellement la Déclaration
de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail comme
une norme concernant l'ensemble du système qui doit être appliquée
par toutes les institutions multilatérales : les institutions financières
internationales, l'OCDE et l'OMC. Il y a lieu de développer une
coopération concrète entre l'OMC et l'OIT pour faire en sorte
que le système multilatéral d'échanges soit rendu
compatible avec le respect des droits fondamentaux des travailleurs et
la protection de l'environnement.
10. La proposition, faite par les ministres des Finances du G7, en 1998
et 1999, d'élaborer un Code social pour les activités de
la Banque mondiale et du FMI est actuellement tombée dans les oubliettes
du système des Nations Unies. Les ministres du Travail du G8 devraient
demander une reprise de cette proposition. Il faut également mettre
en place un dispositif structuré de consultation avec le mouvement
syndical dans les institutions financières internationales et à
l'OMC. Suite à l'appel lancé en 1999 par les responsables
du G8 pour que l'OCDE entreprenne des travaux sur les questions des crédits
à l'exportation et de l'environnement et à la proposition
de cette année concernant les mesures destinées à
mettre fin à l'aide aux crédits à l'exportation pour
les dépenses "non productives" des pays en développement,
les ministres du Travail du G8 devraient insister sur la nécessité
de veiller à ce que l'aide aux crédits à l'exportation
soit conditionnée au respect, par les pays hôtes, des normes
fondamentales du travail et à la mise en oeuvre fiable, par les
entreprises bénéficiaires, des Principes directeurs de l'OCDE
à l'intention des entreprises multinationales.
11. Le mouvement syndical international a exposé clairement sa
position en ce qui concerne la nécessité d'augmenter les
flux financiers en direction des pays en développement au moyen
d'un allégement de la dette et de l'aide au développement.
Les pays du G8 et de l'OCDE doivent réaffirmer leur détermination
à soulager la pauvreté et à atteindre les objectifs
de développement qualitatif qu'ils ont énoncés en
1996 et notamment celui de réduire de moitié la pauvreté
mondiale d'ici 2015. Il faut amplifier encore davantage la légère
reprise de l'APD intervenue récemment. Les nouvelles directives
du comité d'aide au développement de l'OCDE relatives à
la lutte contre la pauvreté doivent reposer sur une base de respect
des droits des travailleurs. L'engagement, pris par certains pays, d'annuler
la dette officielle des pays les plus pauvres doit maintenant être
suivi par tous les pays de l'OCDE et le processus doit s'accélérer
afin d'alléger considérablement la dette dans les délais
les plus courts. Les institutions financières internationales devraient
également remettre les dettes des pays les plus pauvres et être
autorisées à se procurer les fonds suffisants pour ce faire.
Les ressources libérées par la remise des dettes doivent
servir à faciliter l'éradication de la pauvreté, en
particulier grâce à des investissements en matière
de soins de santé de base et d'éducation. Il faut obliger
les bénéficiaires à respecter les droits des travailleurs
et autres droits de l'homme comme condition à l'allégement
de leur dette.
12. Un élément essentiel de la "dimension sociale" de
la mondialisation doit être la réglementation efficace des
activités mondiales des entreprises multinationales pour faire en
sorte qu'elles respectent non seulement les droits professionnels fondamentaux
de leurs salariés mais favorisent également le développement
économique dans des conditions optimales. Les Principes directeurs
de l'OCDE à l'intention des Entreprises multinationales, qui viennent
d'être révisés, sont en mesure de contribuer à
la réalisation de cet objectif. Pour y parvenir, les ministres du
Travail doivent jouer leur rôle pour faire en sorte que les gouvernements
et l'OCDE établissent rapidement des mécanismes d'application
transparents et efficaces, en collaboration avec les syndicats. Il est
préoccupant de constater que jusqu'à présent, aucun
des pays du G8 ne dispose d'un Point de contact national pour les Principes
directeurs fonctionnant de manière efficace. Un programme de vulgarisation
doté de moyens suffisants doit également être mis en
place afin d'étendre l'application des Principes directeurs au-delà
de la zone OCDE.
Le vieillissement des populations
13. Les pays industriels doivent veiller à maintenir et améliorer
la cohésion sociale, les niveaux de vie et le dynamisme économique
sur fond de vieillissement des populations et d'évolution démographique.
Une population vieillissante entraînera également une augmentation
de la demande de certains services et par là même, des emplois.
Le remplacement systématique des régimes publics de pension
par des régimes privés ou des régimes de pension par
capitalisation n'est pas une solution acceptable à l'accroissement
des coûts des systèmes de pension par suite du vieillissement
des sociétés. Les pressions actuarielles seront simplement
transférées de l'Etat aux marchés financiers avec
les risques correspondants comme nous l'avons vu lors de la crise financière
asiatique. Une réduction des pensions de retraite n'est pas non
plus une solution acceptable. Certains pays de l'OCDE ont déjà
entrepris des démarches d'une grande ampleur en vue de stabiliser
le financement des régimes nationaux de pensions de retraite. Ces
efforts destinés à éviter d'augmenter les cotisations
aux régimes de retraite et aux fonds de pension regroupent un large
éventail de mesures pratiques de réforme. Ces efforts consistent,
entre autres, à élargir l'assiette des cotisations aux caisses
de retraite, à passer à des systèmes à "piliers
multiples" et à renverser la tendance à une diminution de
la vie active et un allongement de la retraite. Le débat et les
mesures pratiques indiquent qu'il n'existe par une seule solution qui soit
la meilleure. En fait, dans bien des cas, les pays qui ont réduit
les dépenses publiques ont en permanence des problèmes d'inégalité
et de pauvreté des personnes âgées. La place de plus
en plus importante des systèmes à piliers multiples et la
grande diversité de mécanismes, nouveaux ou modifiés,
révèlent que le déplacement - souvent préconisé
- vers des régimes (obligatoires) de retraite par capitalisation
au lieu de systèmes par répartition constitue un faux débat.
Les systèmes publics sérieux sont plus efficaces pour assurer
une large couverture et la transférabilité des droits à
pension ; leurs coûts administratifs sont plus faibles et ils sont
plus équitables.
14. La solution pour résoudre les problèmes d'évolution
démographique consiste à augmenter la proportion d'actifs
en réduisant le chômage qui touche l'ensemble de la population
en âge de travailler et en particulier la population de plus de 50
ans. Les syndicats soutiennent la mise au point d'une formule souple assurant
la transition progressive de la vie active à la retraite. Le départ
en retraite devrait être une décision fondée sur un
choix individuel plutôt que sur des contraintes économiques.
La tendance à la retraite anticipée est souvent un moindre
mal que le chômage et la restructuration des entreprises. Outre la
réduction du chômage, les syndicats sont prêts à
jouer un rôle fondamental dans le cadre d'efforts concertés
afin de tirer parti à nouveau de la grande expérience des
travailleurs âgés et d'atténuer la discrimination dont
ils sont l'objet. L'organisation et la conception du lieu de travail doivent
prendre en considération les besoins des travailleurs âgés.
Il faut également s'efforcer de réduire les causes de stress
et de mauvaise santé liées au travail. Pour ce faire, il
faut non seulement que les possibilités de recyclage et "d'apprentissage
à vie" soient mises également à la disposition des
travailleurs âgés mais aussi que l'allongement de la vie active
soit une décision volontaire des salariés. Les gouvernements
membres de l'OCDE doivent en tenir compte dans les habitudes d'emploi de
leur propre secteur public.
(1)
La présente déclaration a été préparée
par la Commission syndicale consultative auprès de l'OCDE (TUAC),
en collaboration avec nos organisations partenaires et notamment la Confédération
internationale des Syndicats libres (CISL), la Confédération
mondiale du Travail (CMT) et la Confédération européenne
des Syndicats (CES).