1997 - DECLARATION DU TUAC

 

 



English text

DECLARATION DU TUAC
A L'INTENTION DES MINISTRES
DE L'EDUCATION DE L'OCDE
(Janvier 1996)
" Faire de l'apprentissage à vie une réalité pour tous "

 

  1. INTRODUCTION

    1. L'apprentissage à vie pour tous est aujourd'hui une idée communément admise. Sans être nouveau, le concept prend un nouveau relief. L'apprentissage à vie n'est plus considéré comme une seconde chance pour ceux dont la scolarité a été un échec, c'est aujourd'hui un tremplin permettant à chacun de perfectionner sans cesse ses connaissances et sa formation pour s'adapter aux mutations dans un contexte de rapide mondialisation. L'apprentissage à vie interpelle tous les acteurs de la société mais la principale responsabilité en ce qui concerne l'avenir, comme le passé et le présent, incombe aux gouvernements. Actuellement, le manque de confiance semble les empêcher de prendre les décisions nécessaires pour accroître l'investissement dans les systèmes d'éducation et de formation. Certains conseillers politiques sont même allés jusqu'à suggérer qu'il était possible de faire face à ce défi de l'apprentissage à vie en utilisant plus efficacement les ressources existantes. En réalité, pour être constructif, il faut trouver davantage de ressources, outre celles déjà existantes. La société jugera les gouvernements dans ce domaine non pas sur leurs promesses, leur rhétorique, mais sur leur action.
    2. Il faut aujourd'hui mettre en place une politique permettant à chacun d'avoir accès à l'apprentissage à vie. Ce souhait rencontre un large consensus, néanmoins, là où il fait défaut c'est sur la panoplie de mesures et de mécanismes à mettre en Ïuvre. L'absence de consensus est visible à travers la gamme de réformes en matière d'éducation et de formation opérées dans la zone OCDE, chacune voulant pallier aux échecs antérieurs. Le TUAC se réjouit de cette approche, mais il met en garde contre l'adoption d'une méthode dogmatique, qui consisterait à mettre en place des réformes, du sommet à la base, sans participation des partenaires sociaux. L'expérience montre qu'une telle pratique conduit invariablement à un échec aggravé, suivi d'une révision tenant compte des positions des travailleurs et du patronat. C'est cette prise en compte que le TUAC qualifie d'approche "partenariale" pour la mise en place de l'apprentissage à vie. C'est ainsi que des voies innovantes en matière de financement, et l'élaboration de politiques pour combattre l'exclusion sociale, peuvent assurer à tous une approche de l'apprentissage à vie de qualité totale. Il faut en outre souligner le rôle de premier ordre que joue la dimension internationale, en ce sens que la mondialisation des économies et des sociétés offre, dans les domaines de l'éducation et de la formation, de nouveaux défis et de nouvelles perspectives, qui ne peuvent être abordés au seul niveau national.
    3. L'approche du TUAC à l'égard de l'apprentissage à vie et l'action des décideurs politiques pour mettre en Ïuvre les mécanismes nécessaires sont exposées ci-après. La section I introduit le sujet en présentant la réflexion des syndicats sur les problèmes auxquels sont confrontés les systèmes contemporains d'éducation et de formation. La section II, s'appuyant sur des études de cas de "bonne pratique", expose les vues du TUAC sur le fonctionnement pratique de l'approche "partenariale" de l'apprentissage à vie. La section III donne une idée du rôle crucial de la dimension internationale, offrant de nouveaux systèmes d'éducation et de formation, et son rôle dans la promotion de la démocratie. La section IV explique comment développer des voies innovantes pour le financement de l'apprentissage à vie. La section V met en évidence l'ensemble des politiques nécessaires pour garantir que l'apprentissage à vie joue un rôle prépondérant dans le combat contre l'exclusion sociale, comme dans l'étendue des bienfaits de l'éducation et de la formation à toutes les couches de la société. La section VI résume les principaux thèmes développés dans cette déclaration, et propose de nouvelles voies à l'OCDE pour répondre au défi que pose l'accès de tous les individus à l'apprentissage à vie.


    1. LES SYSTEMES CONTEMPORAINS D'EDUCATION ET DE FORMATION
    2. L'approche de la crise

      1. Face à la mondialisation, les sociétés et les économies évoluent à un rythme sans cesse accéléré; l'emploi dépend de plus en plus du degré de connaissances; et déjà un tiers des adultes dans la plupart des pays de l'OCDE, ne possèdent pas actuellement le niveau minimum permettant de lire, écrire et compter. La demande de personnel non qualifié est en recul par rapport au personnel qualifié, et la rémunération des qualifications augmente comparée aux salaires des non-qualifiés, qui, dans certains pays, ont considérablement chuté.
      2. Les travailleurs non-qualifiés ne sont pas les seuls à subir le choc de l'évolution du paysage économique. Tous les travailleurs sont maintenant confrontés aux réalités de la "flexibilité" du marché du travail des années 1990. Les cadres moyens, les fonctionnaires ainsi que d'autres travailleurs professionnels sont "réduits", "reclassés", "sous-traités" au fur et à mesure que les entreprises et les gouvernements se débattent avec les problèmes de restructuration économique et les pressions générées par la compétitivité. L'insécurité suit les traces du marché de l'emploi et concerne tous les travailleurs, jeunes et anciens, intellectuels et manuels.
      3. La flexibilité du marché du travail et l'insécurité de l'emploi réduisent les perspectives de formation - et ne sauraient les favoriser comme certains le prétendent. La formation du personnel à temps partiel ou temporaire ne suscite pas d'enthousiasme de la part des employeurs, qui ne perdent pas de vue le principe du rendement de leur investissement. Les femmes et les minorités ethniques sont particulièrement affectées, leur formation se fait le plus souvent de façon informelle, "sur le tas", et a trait à des qualifications de faible niveau. La flexibilité du marché du travail dans ces conditions compromet la mise en valeur des capacités et la formation dont les employeurs ont besoin pour être compétitifs sur les marchés mondiaux.
      4. Si l'on y ajoute la situation désastreuse du chômage de longue durée, le tableau devient encore plus sombre. Dans de nombreux pays de l'OCDE, le chômage de longue durée étend maintenant son ombre sur une troisième génération de familles. Habitant souvent au cÏur des vieux quartiers, ou dans des banlieues éloignées des nouveaux sites d'emploi, ces chômeurs sont de plus en plus rejetés en marge de la société conventionnelle. L'exclusion sociale affecte également les minorités ethniques dans une large disproportion. Aujourd'hui, avec la ségrégation professionnelle, l'effondrement de la demande de ce type de main-d'Ïuvre les pousse toujours davantage vers le bas de l'échelle des possibilités.

      5. Ces facteurs se conjuguent pour créer un mélange explosif de désespoir, dont l'élite tire profit au détriment des exclus et des marginalisés de nos sociétés, dans lesquelles un nombre de plus en plus grand de nos concitoyens voient s'amincir la frontière entre la sécurité sous un toit et le dénuement sans abri. Dans "La culture du contentement", ouvrage publié en 1992, John Kenneth Galbraith mentionnait que les deux tiers de la société vivaient dans une relative abondance à côté du tiers vivant dans une relative pauvreté. Mais aujourd'hui, les commentateurs parlent de quarante pour cent de satisfaits, et de soixante pour cent vivant dans la crainte de perdre leur emploi ou ayant sombré dans le désespoir. Cette "sous-catégorie", en perpétuelle augmentation, que l'insécurité et la pauvreté privent de plus en plus de leurs droits civiques, recherche souvent une issue à travers les délits, les drogues, ou l'économie parallèle - qui ne feront que les rejeter plus encore de la société conventionnelle.
      6. En ce qui concerne la formation professionnelle dans bon nombre de pays, le système d'apprentissage, consistant à donner à ceux qui quittent l'école précocement les qualifications nécessaires pour s'engager dans la vie active, a failli échouer. La philosophie des années 80, à savoir que le marché fournirait la formation professionnelle appropriée, n'a pas abouti, la plupart des gouvernements n'ayant par conséquent d'autre solution que de rétablir les systèmes dont leurs propres politiques avaient entraîné l'effritement. Là où le "système dual" a prévalu, les résultats en termes d'efficacité et de rendement au plan économique le plus large ont justifié l'investissement initial public et privé. Aujourd'hui, cependant, les pressions sur ces systèmes se font plus fortes, du fait des changements organisationnels qui apparaissent dans les entreprises. Les entreprises qui "temporisent" et qui "régressent" se tournent davantage vers la formation interne pour répondre à leurs propres besoins, évoquant la pression exercée par les coûts pour réduire les dépenses consacrées à la formation professionnelle. L'approvisionnement par sous-traitance contribue aussi à la réduction des coûts de formation professionnelle, ce qui est souvent le cas des petites et moyennes entreprises qui ne sont pas en mesure de financer la formation.
      7. La politique publique témoigne d'un paradoxe évident. Il existe un large consensus selon lequel l'éducation et la formation détiennent les clés du futur, car elles sont parmi les investissements les plus significatifs qu'une société peut faire pour son propre avenir. Mais l'investissement public pour l'éducation et la formation a été réduit, souvent de façon considérable. Le secteur privé n'a pas compensé cette perte de l'investissement public, et en fait, il a lui-même réduit ses propres niveaux d'investissement, pour les raisons évoquées ci-dessus. Ce contexte a déterminé l'impact de la politique économique des gouvernements sur le secteur éducatif. Dans certains pays, les réformes ont tenté d'introduire une concurrence entre établissements scolaires et collèges techniques visant à accroître les choix, les ouvertures, les responsabilités et l'efficacité. Mais après évaluation il s'avère qu'elles n'ont engendré ni efficacité renforcée ni création de marchés pour la formation. En fait, des répercussions négatives ont entravé l'acquisition des compétences, en particulier le manque de coordination de l'enseignement dispensé, la limitation des responsabilités politiques professionnelles et locales, l'introduction de distorsions dans les processus de sélection, l'accent étant mis sur les résultats.
      8. En résumé, les systèmes d'éducation et de formation dans la plupart des pays de l'OCDE approchent de l'état de crise. D'une part, les gouvernements, pour répondre à la demande de consolidation budgétaire, réduisent les dépenses de fonctionnement et de capitaux, et d'autre part les entreprises cherchent à dispenser la formation minimale requise dans un marché mondialisé. Les coûts à long terme de cette stratégie l'emporteront de loin sur les profits financiers à court terme. Le temps est venu de mettre en Ïuvre le programme syndical pour un apprentissage à vie.


    3. FAIRE DE L'APPRENTISSAGE A VIE UNE REALITE : LE PROGRAMME SYNDICAL POUR LE CHANGEMENT
    4. L'approche partenariale

      1. De toute évidence, la responsabilité en matière d'apprentissage à vie dépasse le rôle du gouvernement central. Les autres parties prenantes, dont les partenaires sociaux, doivent être impliquées dans la détermination et la mise en application des politiques pour un apprentissage à vie. C'est le processus que le mouvement syndical nomme approche "partenariale". A partir d'initiatives de "bonne pratique" dans des pays de l'OCDE, il devrait servir de base pour mettre en Ïuvre les divers programmes de réforme. Par essence, le gouvernement doit travailler en coopération avec les partenaires sociaux et autres, afin d'analyser les problèmes actuels et à venir auxquels sont confrontés les systèmes d'éducation et de formation, puis obtenir un consensus sur les politiques susceptibles de les surmonter. Suivent trois études de cas illustrant l'approche "partenariale" du mouvement syndical pour mettre en Ïuvre les réformes de l'enseignement.


      Etude de cas : 1 - L'approche "partenariale" australienne

      En Australie, le processus de réforme découle de l'accord sur l'enseignement d'octobre 1993, conclu entre le gouvernement fédéral et les syndicats d'enseignants. Il se concentre sur 10 domaines prioritaires, notamment l'engagement : de mettre en place au niveau national une stratégie de perfectionnement professionnel visant à gérer la formation et la promotion des enseignants; d'encourager les employeurs et les syndicats à négocier des accords au niveau de l'Etat/du Territoire pour garantir à l'enseignant/au formateur des disponibilités lui permettant de participer au programme de perfectionnement professionnel; de travailler ensemble à la détermination de normes de compétence reconnues pour tout le personnel. C'est l'illustration d'une bonne pratique mise en place au niveau fédéral bien qu'elle n'ait pas toujours été appliquée au niveau national.

      L'expérience de l'approche "partenariale" australienne a été discutée à la conférence sur le partenariat et la réforme de l'éducation, qui s'est tenue à Canberra (Australie) en juin 1994. Organisée conjointement par le gouvernement fédéral australien et le syndicat australien de l'éducation, la conférence a réuni une grande diversité d'experts représentant des gouvernements, l'OCDE, l'UNESCO, et des syndicats. Les participants ont considéré la réforme de l'éducation comme un facteur clé pour la reprise économique et sociale des nations. Ils sont convenus de la nécessité d'un dialogue entre le gouvernement et les syndicats d'enseignants, qui agirait comme un catalyseur dans la perspective du changement, tout en supprimant les probabilités de conflit inhérentes à l'ancien système. Ils ont également admis qu'aucun groupe ne réussirait en agissant indépendamment, et que la réforme ne pourrait être fructueuse que par un travail commun dans le cadre d'une approche "partenariale". Les domaines clés de la réforme ont été identifiés comme suit :

      une éducation de qualité -- déterminer des critères évaluant la réussite de l'enseignement et des études, les mettre en application et les contrôler au sein des écoles ;
      la garantie d'un engagement -- à s'ajuster aux changements et améliorations dans les actions éducatives ;
      des réformes -- doivent être envisagées, engagées et soutenues ;
      l'intégration -- de l'éducation avec d'autres institutions sociales, comme les services de protection sociale, de santé, d'éducation de la prime enfance, et autres services sociaux ;
      la formation initiale de l'enseignant -- des méthodes nouvelles et alternatives doivent être recherchées ; et
      le développement de la technologie -- en particulier le concept et l'usage des technologies informatiques appliquées à l'enseignement.


      Etude de cas : 2 - L'approche "partenariale" norvégienne

      En août 1994, le gouvernement norvégien et les partenaires sociaux ont engagé ensemble un processus de réforme du cycle supérieur de l'enseignement et du système de formation. Les problèmes suivants se posaient : faible taux de réussite en fin de scolarité conjugué à un déclin des opportunités d'enseignement pour les adultes; recul du statut de la formation professionnelle et indisponibilité générale de possibilités d'apprentissage; inégalités sociales et géographiques; inadaptation des programmes et des méthodes d'enseignement aux besoins futurs, illustrée par un nombre excessif de points d'entrées dans le système de l'éducation et de la formation postscolaires.

      Dans le contexte norvégien, ce processus d'approche "partenariale" a abouti aux solutions suivantes :

      tous les étudiants de 16 à 19 ans ont droit à trois années d'enseignement secondaire, que les autorités régionales ont l'obligation de dispenser. De plus, à l'entrée dans l'enseignement supérieur, tous les élèves ont le droit d'être admis dans l'une des trois premières structures choisies ;
      Les "points d'entrée" ont été réduits de plus de 100 à 13, et au fur et à mesure que les élèves et les apprentis avancent dans le système, ils bifurquent vers des orientations plus spécialisées. Le nouveau système dual de formation professionnelle implique deux années d'enseignement scolaire associées à deux années de formation rémunérée au sein d'une entreprise. Les entreprises qui engagent des apprentis obtiennent le remboursement de la partie de la formation qui relève de l'enseignement ;
      les enseignants et leurs syndicats prennent part à l'élaboration des programmes ; et
      un fonds paritaire a été créé par les syndicats et les employeurs, en vue de l'éducation et de la formation des adultes.


      Etude de cas : 3 - L'approche "partenariale" irlandaise

      Dans le cadre d'une série d'accords conclus depuis 1987 entre le gouvernement irlandais, les employeurs et les syndicats, notamment d'enseignants, un processus d'amélioration et de révision du système éducatif a été entrepris. Tout accord sur des questions économiques et sociales intègre une section sur l'éducation à laquelle souscrivent les syndicats d'enseignants, le Département national de l'Education, et les employeurs. Ces accords concernent différents aspects de l'évolution et de l'amélioration du système éducatif, y compris le lien entre l'éducation et l'emploi, et l'orientation qui peut être prise pour aménager le système de façon à accroître les débouchés pour les étudiants. Un accent soutenu est mis sur la notion d'équité et l'accès aux services éducatifs pour tous. L'éducation des adultes et l'éducation permanente sont encouragées et les ressources ciblées sur l'éducation des catégories de population défavorisées.

      Comme conséquence, en partie, des progrès réalisés par la conclusion de ces accords, un processus de révision, de remise au point de l'ensemble du système d'enseignement a pris forme pour culminer en 1995 avec la publication par le gouvernement d'un "Livre blanc sur l'éducation". C'était la première grande tentative de réflexion, de reconsidération et de réorientation du système depuis la fondation de l'Etat irlandais. Ce "Livre blanc" a été élaboré à travers un processus de consultation impliquant toutes parties intéressées dans le système, et les partenaires sociaux. C'était une initiative sans précédent pour garantir l'appui du consensus de la société en général sur l'avenir du système d'éducation. Elle a impliqué la publication d'un "Livre vert" auquel toutes les parties intéressées ont été invitées à réagir, la convocation d'une grande Convention Nationale sur l'Education réunissant également tous les intéressés, l'organisation d'autres conférences sur des sujets spécifiques, et finalement la publication d'un "Livre blanc" basé sur les propositions et les observations. Une autre consultation a lieu actuellement sur les applications de divers aspects du "Livre blanc", qui contient l'engagement d'ouvrir des négociations entre les syndicats d'enseignants, les employeurs et le Département de l'Education sur les propositions affectant directement les modalités et conditions d'emploi.

      Les enseignants sont représentés dans tous les comités et groupes de travail qui examinent les questions relatives aux programmes. Le "Livre blanc" est un document de grande envergure, qui aborde les principes philosophiques sous-tendant le service de l'éducation en Irlande, les structures par le biais desquelles il est dispensé, l'avenir de la profession enseignante, et qui instaure des systèmes pour le contrôle et l'évaluation de tous les aspects de ce service.


      1. Ces cas, relevés en Australie, Norvège et Irlande, ne sont que trois exemples de l'approche "partenariale" apte à réformer les systèmes d'éducation et de formation professionnelle, mise en Ïuvre ou sur le point de l'être au sein de la zone de l'OCDE. Il y a des leçons à retenir de ce processus, qui constitue un élément des programmes de réformes pour l'apprentissage à vie. Mais pour donner aux jeunes comme aux aînés la confiance leur permettant de prendre part à ce processus, les gouvernements doivent contribuer à assurer que la sécurité de l'emploi est comprise dans le concept d'apprentissage à vie.
      2. Tout ceci va bien au-delà du vieux concept de la sécurité de l'emploi. Dans un monde en rapide mutation, les travailleurs, quel que soit leur emploi, sont susceptibles de changer d'orientation professionnelle plus fréquemment que dans le passé, en d'autres termes intégrer ou quitter des emplois et des systèmes d'éducation et de formation selon une fréquence jamais envisagée auparavant. Pour faciliter cette mutation, les gouvernements doivent rejeter le programme négatif de la "flexibilité" du marché du travail, et adopter le programme syndical d' "adaptabilité" positive du marché. Une base de dispositions positives en faveur des travailleurs, mise en Ïuvre avec l'accord des syndicats, et conjuguée à l'adoption de politiques pour la croissance économique et l'expansion de l'emploi, garantira l'ancrage de l'apprentissage à vie dans un climat de confiance. Actuellement, l'insécurité régnant au sein des marchés du travail signifie que beaucoup de travailleurs ne sont guère plus éloignés de la pauvreté que de leur prochaine paie. Il faut inverser cette situation pour faire de l'apprentissage à vie une réalité.
      3. L'approche "partenariale" inclut également la question de la gestion des entreprises et son incidence sur la performance économique. On a souvent constaté que de nombreux pays tombent dans le piège de l'équilibre des qualifications, où le problème est à la fois celui de l'offre et de la demande. Les systèmes statutaires de formation sont censés accroître la performance économique en obligeant les employeurs à dispenser la formation au sein de l'entreprise, plutôt que d'attirer des travailleurs déjà qualifiés. Cette pratique n'augmente pas forcément la demande de qualifications car la décision d'un employeur de ne pas faire de formation peut être une réponse rationnelle à une politique de production et de coûts de main-d'Ïuvre peu élevés. Les politiques gouvernementales doivent promouvoir la demande de qualifications en encourageant les entreprises qui investissent dans la formation et dans la stratégie industrielle future. Les réformes des systèmes de gestion des entreprises, en particulier celles visant à encourager le rôle des syndicats dans ce contexte, favoriseraient à la fois la demande de qualification et la formation.


    5. LA DIMENSION INTERNATIONALE

      1. Les systèmes éducatifs reflètent actuellement l'histoire sociale et culturelle de la nation. Cependant, de même que l'économie mondiale se développe, nos idées évoluent sur la façon d'envisager les systèmes éducatifs. Ils ne se borneront pas à la formation aux langues et à la diffusion de la nouvelle technologie dans la communauté enseignante. Certaines écoles expérimentent déjà les autoroutes de l'information, et leur usage de plus en plus répandu révolutionnera les méthodes et les pratiques de l'enseignement. Les décideurs politiques peuvent instantanément exploiter les derniers développements venus d'autres pays, et les entreprises multinationales transférer des informations et des programmes de formation à leurs filiales à travers le monde. Ces seuls facteurs signifient que les décideurs politiques devront tenir compte de la dimension internationale lors de la formulation des politiques pour l'apprentissage à vie.
      2. Les marchés financiers mondiaux existent déjà, les marchés de produits et de services s'internationalisent de plus en plus, tandis que les marchés du travail gardent, en majorité, leur caractère national. Les systèmes éducatifs ont un rôle clé à jouer en facilitant la mobilité de l'emploi à travers les frontières. Les apprentis et les stagiaires devront être capables de passer d'une institution à l'autre dans divers pays et ensuite avoir la possibilité de travailler dans le pays de leur choix. Certaines questions politiques se posent, parmi d'autres. Comment assurer au niveau national des qualifications transférables et transparentes au niveau international, afin de faciliter la mobilité de l'emploi ? Une coordination accrue sera nécessaire entre les responsables chargés de déterminer les normes au niveau national. Le rôle de l'enseignant/formateur doit être redéfini, et de nouveaux contenus de formation devront être établis. Un dialogue et des négociations entre les syndicats et le patronat seront nécessaires. Il faudra examiner les questions d'accès en vue de maintenir l'équité entre tous les individus des sociétés et par-delà les frontières.
      3. Au niveau international, les systèmes éducatifs ont aussi un rôle à jouer pour promouvoir la démocratie, une bonne gestion des affaires publiques, un développement participatif et les droits de l'homme. Le plein accès à l'éducation et à la formation pour tous soutiendra le processus démocratique, et là où il est établi, les gens sont plus susceptibles de le promouvoir et de le défendre. Il faut inclure dans ce contexte l'utilisation des nouvelles technologies. Les autoroutes de l'information, par exemple, pourraient être exploitées pour communiquer les méthodes d'éducation et de formation "les plus efficientes", des pays développés aux pays en développement. De même, les systèmes de vidéoconférence et de téléconférence pourraient être exploités pour l'éducation et la formation des enfants comme des adultes, mais avec un enseignant/formateur opérant à partir d'un autre pays.
      4. Pour rester informés de ces développements, les systèmes éducatifs et leurs acteurs doivent être partie prenante dans ce processus. La technologie et la formation devront être diffusées sur une plus grande échelle, et l'approche "partenariale" facilitera cette évolution. En tant que parties prenantes, les syndicats peuvent transmettre aux décideurs politiques les dernières améliorations qu'utilisent leurs organisations partenaires dans d'autres pays.


    6. FINANCER L'EDUCATION PERMANENTE
    7. L'éducation initiale et postscolaire

      1. Actuellement, les pays de l'OCDE dépensent, en moyenne, 6,1 % du PIB pour l'éducation, la part du lion - 4,9 % - revenant au secteur public. En incluant la participation aux institutions sociales, et en tenant compte des différences entre pays, c'est approximativement 12 % des dépenses publiques de la zone de l'OCDE qui sont consacrés à l'éducation. En termes d'emploi, l'éducation est un secteur prépondérant dans la plupart des économies de l'OCDE, représentant jusqu'à 5 % de l'ensemble des travailleurs. Le secteur de l'éducation est donc dans son ensemble une industrie clé, étayant un développement économique plus ample.
      2. Il n'est pas surprenant, par conséquent, que les ministres des finances, sous la pression des compressions de dépenses publiques, cherchent à réduire l'importance et l'étendue des ressources affectées à l'éducation. Mais la mise en Ïuvre d'une telle politique, à l'heure actuelle, serait particulièrement malencontreuse et constituerait un bien mauvais signal si les gouvernements entendent sérieusement développer l'apprentissage à vie et le capital humain. Dans de nombreux pays de l'OCDE, les durcissements budgétaires des années passées ont déjà amenuisé les ressources affectées à l'éducation et à la formation, qu'il s'agisse de transferts de paiement ou d'investissements de capitaux. Confrontées à des budgets gelés ou à des diminutions de ressources, beaucoup d'institutions répondent par le licenciement d'enseignants ou de formateurs et du personnel assistant, ce qui accroît les ratios enseignants/élèves. En outre, la plupart des investissements de capitaux nécessaires sont perpétuellement reportés ou annulés, ce qui aboutit à une situation où beaucoup d'établissements tombent en ruine.
      3. Dans certains pays les enseignants et les formateurs, premiers concernés par ces réductions, se trouvent confrontés à un gel des salaires imposé par le gouvernement, ce qui aggrave l'état de démoralisation déjà ressenti à travers les classes toujours plus chargées, l'insuffisance de personnel de soutien, et d'infrastructure. Le recrutement et le maintien des enseignants/formateurs devient un réel problème. Le tableau s'assombrit encore dans les pays qui ont opté pour une éducation "de masse", mais sans augmentation proportionnée des dépenses. Dans ces cas, le décalage entre la mise en Ïuvre des réformes et l'apparition des problèmes en résultant a disparu. Les faits démontrent que les problèmes soulignés ci-dessus se sont aujourd'hui manifestement aggravés dans ces pays.
      4. Confrontés à l'état d'effritement du secteur éducatif, les parents se tournent de plus en plus vers le secteur privé. Dans certains pays, les établissements privés ont joué un rôle en répondant à des demandes d'ordre religieux ou culturel. Mais il ne peut s'agir d'une réponse généralisée à la crise de notre système scolaire car, pour ne considérer que les coûts, l'éducation privée reste dans une large mesure l'apanage de la richesse, soulevant par là-même des questions d'équité. D'autre part, l'incidence de la "ségrégation par l'éducation" sur les écoles du secteur public revêt tout autant d'importance. Les parents estimeront ne plus avoir à payer d'impôt pour financer l'éducation publique, d'où le risque d'affaiblir encore davantage la base des revenus. Il se produira un exode des familles et des ressources, qui quitteront les écoles publiques, et la démoralisation des enfants laissés pour compte ne fera que s'aggraver. L'expérience démontre que les établissements offrant toute une gamme de capacités éducatives réussissent mieux que celles dont les élèves reçoivent en général un faible niveau d'instruction. La "solidarité" éducative en sera par conséquent davantage ébranlée aux dépens des plus dépourvus.
      5. Pour endiguer le développement de cette crise, les gouvernements doivent en premier lieu et par-dessus tout reconnaître le rôle central du système public d'éducation en mettant en place l'apprentissage à vie. Les économies de l'OCDE les plus florissantes ont reconnu ce fait, comme les tigres dynamiques d'Asie qui ont soutenu la croissance économique avec une expansion massive des systèmes d'éducation financés par l'Etat.

      6. Une clé déterminante de la croissance, à savoir le développement technologique, est fonction des compétences de la population active, lesquelles émergent d'une plate-forme d'éducation et de formation. De plus, les emplois du futur reposeront pour la plupart sur la connaissance, et exigeront un personnel intelligent, capable de résoudre les problèmes en temps réel. Les pays qui reconnaissent cette simple vérité, et le rôle central qu'y joue un système public d'éducation bien établi, l'emporteront à la fois économiquement et socialement sur les pays qui réduisent leurs dépenses d'éducation. Economiquement, les gouvernements n'ont pas d'autre choix que d'investir massivement dans le secteur de l'éducation publique s'ils souhaitent la prospérité et le développement de leur nation. Une dépendance sur le secteur privé pour compenser les réductions du financement public, ne saurait donc être une panacée pour l'ensemble de la société. Ce principe vaut tant pour la scolarité obligatoire que pour l'éducation postscolaire.
      7. Ce contexte offre à l'industrie la possibilité de jouer un rôle dans le financement de l'éducation postscolaire, comme c'est aujourd'hui le cas dans quelques pays. Mais les finances de l'industrie, souvent caractérisées par la précarité, sont généralement orientées vers les domaines scientifiques ou d'ingéniérie. Par conséquent, si ce type de financement est le bienvenu, il ne saurait constituer la base permettant d'envisager une stratégie pour l'extension de l'éducation postscolaire. L'Etat doit continuer à jouer le premier rôle dans ce domaine.
      8. Le TUAC est préoccupé par les tendances observées récemment dans certains pays, où les gouvernements contraignent les particuliers à partager le coût de l'éducation postscolaire, par exemple à travers la suppression progressive des bourses et leur remplacement par des prêts. L'expérience récente semble indiquer que cette évolution exclut progressivement de l'éducation postscolaire les personnes appartenant à des familles à faibles revenus ou à des minorités ethniques. Il en résultera un renforcement de l'élitisme universitaire, endémique dans beaucoup de pays, puis un affaiblissement des efforts visant à favoriser l'accès à l'enseignement supérieur.
      9. Dans ce domaine, les politiques gouvernementales doivent renforcer la tendance à une participation plus importante, justifiant le besoin d'augmenter le personnel enseignant et non enseignant, nécessaire au maintien des niveaux. Il faut que la formation des enseignants à de nouvelles méthodes de travail figure en bonne place dans la liste des priorités, et la conception des programmes implique une totale collaboration avec les enseignants et leurs syndicats. L'accueil massif au niveau de l'éducation postscolaire doit aussi prendre en compte la nécessité d'assurer la plus large participation de toutes les couches de la société et sortir des voies élitistes du passé. Il incombe aux gouvernements de concevoir des programmes qui permettent aux étudiants de passer des cours de type universitaire à ceux de nature professionnelle et vice-versa.


      Formation professionnelle initiale et formation professionnelle continue

      1. L'approche "partenariale" de la formation permanente et des politiques actives du marché du travail visant à ramener les chômeurs vers l'emploi, induit une nouvelle considération des systèmes eux-mêmes et, dans ce cadre, de la responsabilité du financement. Ce sont autant de défis et d'opportunités pour les gouvernements, les entreprises, les particuliers et les syndicats. Les rôles respectifs de ces acteurs différeront selon le problème envisagé.
      2. Le rôle du gouvernement réside dans plusieurs domaines. Premièrement, un rôle clé lui revient en élevant le statut et le prestige de la formation professionnelle en tant que passerelle vers l'emploi pour les jeunes. Il faudra donc une convergence entre, d'une part l'enseignement technique et la formation professionnelle (VOTEC), et d'autre part l'enseignement général, par le biais de l'élimination des divergences entre les deux systèmes. Il sera nécessaire dans cette perspective de planifier de manière stratégique les futurs systèmes et d'assurer le financement à long terme.
      3. Si l'on considère la multiplicité des systèmes existants, aucun pays ne possède toutes les réponses. On peut toutefois indiquer, comme point de départ, que les systèmes conjuguant l'apprentissage professionnel et l'enseignement en établissement scolaire semblent offrir la meilleure voie vers le progrès; ce qui ne veut pas dire que les pays doivent adopter ce système en bloc, mais ils pourraient l'adapter avec souplesse pour satisfaire leurs propres besoins. L'un des avantages de ce système dual est sa capacité à donner une formation générale, contrairement aux autres systèmes qui dispensent une formation spécifique à l'entreprise. Compte tenu de l'accélération de la rotation et de la mobilité des travailleurs, un système dual offrira à la composante scolaire du système les meilleures chances de s'adapter aux besoins futurs.
      4. Avec un enseignement technique et une formation professionnelle jouissant d'un statut amélioré et d'une assise financière solide, le nombre des nouveaux arrivants augmentera. De leur côté, les entreprises seront incitées à investir dans la formation interne, rassurées de savoir que l'existence d'un vaste réservoir de personnel formé compensera les tentatives des profiteurs dans ce domaine. L'acceptation par les employeurs d'un système de prélèvement pour aider au financement de l'enseignement technique et de la formation professionnelle contribuera à fixer un plancher dans un cadre compétitif et à éliminer la tendance inflationniste du marché du travail. En outre, ce processus facilitera l'élimination des inéquités existant actuellement dans le domaine de la formation en entreprise. Des recherches conduites en Norvège, par exemple, ont montré que seulement 15 % des travailleurs non qualifiés recevaient une formation adaptée à leur emploi, alors que le chiffre correspondant pour le personnel de direction est de 44 %. Ces inégalités d'accès à la formation sont répandues dans les pays membres de l'OCDE, et les employeurs doivent accepter de remplir leur rôle social en garantissant une parité d'accès à la formation pour tous leurs employés.
      5. Les gouvernements ont aussi un rôle à jouer en incitant les entreprises et les particuliers à investir dans l'enseignement technique et la formation professionnelle. L'OCDE devra explorer des voies permettant que les incitations fiscales fassent pencher la balance en faveur de l'investissement dans le capital humain. Le TUAC est prêt à jouer un rôle dans ce processus. Les gouvernements peuvent également travailler en vue de réformer les règles régissant les sociétés afin de récompenser les entreprises investissant dans l'enseignement technique et la formation professionnelle. Actuellement, les investisseurs boursiers ignorent quelles entreprises investissent dans la formation de leurs employés. Il faudrait changer cet état de choses : des recherches menées aux Etats-Unis indiquent que sur le long terme, les entreprises qui investissent dans leur personnel ont généralement de meilleurs résultats que celles qui ne le font pas. Si les investisseurs en sont conscients, ils renforceront l'incitation à investir dans ces entreprises qui appliquent de "bonnes pratiques". Dans cette perspective, les entreprises pourraient être encouragées, ou obligées de publier, dans leurs rapports habituels, des informations sur leur niveau d'investissement en matière de formation. Des méthodes harmonisées devraient être définies pour la mesure et la transparence comptable de ce type d'investissement afin que toute publication d'informations soit révélatrice et comparable.


      Etude de cas : 4 - L'approche danoise pour une politique active du marché du travail

      Faisant suite à des consultations élargies avec les partenaires sociaux, le gouvernement danois a adopté en janvier 1994 trois lois relatives au droit du travail, inaugurant une nouvelle politique active du marché du travail pour contribuer à la lutte contre le chômage. Le nouveau système joue en faveur des besoins des chômeurs, selon les conditions qui caractérisent les marchés de l'emploi locaux; il prévoit :

      Un ensemble de conseils régionaux composés des partenaires sociaux et des autorités locales, qui fixent les principes de fonctionnement du Service de l'Emploi. Chaque conseil a un budget déterminé, qui peut être utilisé pour la formation professionnelle, la formation à l'emploi, l'éducation, les plans de reconversion, etc., selon les caractéristiques du marché de l'emploi local.
      Un "Plan d'action individuel", écrit, qui expose les besoins des chômeurs et assure leurs droits fondamentaux.

      La législation de 1994 a aussi prévu l'extension et l'amélioration d'un programme antérieur de "congé d'éducation" en faveur des chômeurs. Les employeurs qui participent à ce processus permettent aux travailleurs de prendre un congé d'éducation, de formation, ou encore un congé parental ou sabbatique dans la limite d'une année. Ils sont alors obligés de pourvoir les postes devenus vacants par l'emploi de chômeurs de longue date. De plus, la Confédération des syndicats danois (LO-Dk) propose la création d'un fonds pour l'éducation, égal à un pour cent de la masse totale des salaires dans l'économie. Cette mesure entrerait progressivement en vigueur sur une période de cinq ans et permettrait, d'une part à davantage de travailleurs de prendre un congé d'éducation, et d'autre part de réintégrer un plus grand nombre de chômeurs dans le marché du travail.


      1. S'agissant du rôle de l'individu, dans bien des cas les jeunes entrant en apprentissage, ou en stage, apportent une réelle contribution en acceptant une rémunération de stagiaire inférieure à celle d'un employé qualifié. Le TUAC n'est donc pas opposé, en principe, à l'idée de travailleurs apportant ensemble ou individuellement des contributions supplémentaires à leur formation, mais il conviendrait de satisfaire à certaines conditions avant qu'ils ne s'engagent eux-mêmes dans cette voie. Une telle approche doit être négociée, en restant centrée sur la qualité. En outre, les besoins en formation des économies, au niveau national, ne seront pas satisfaits par les individus obligés de financer leur propre formation et recyclage, comme le prétendent de nombreux employeurs. Par contre, l'Etat, les autorités locales, et les employeurs, ont une responsabilité à assumer envers l'individu, en combattant l'exclusion de la formation, c'est un élément du pacte social devant soutenir la société.
      2. L'introduction de "banques pour la formation" pourrait contribuer à élever le niveau de la formation dans les petites et moyennes entreprises. Les PME ont un rôle prépondérant dans la création d'emplois; pourtant, l'aspect quantitatif et qualitatif de leur formation n'est généralement pas parmi les meilleurs. Des aides financières pour les PME et leurs employés surmonteraient ce handicap au bénéfice de l'entreprise et de l'économie. Il convient de faire une distinction concernant la proposition du TUAC entre des banques pour la formation, visant à aider les entreprises, et des conseils individuels d'apprentissage auxquels contribueraient les employés. Ces conseils pourraient être conçus pour aider à l'orientation des carrières et à la promotion des employés. Une redéfinition des relations entre les grandes entreprises et les petites entreprises qui les fournissent serait également utile. Les grandes entreprises pourraient déléguer des "conseillers" en formation à leur fournisseurs, qui apporteraient aux PME les connaissances les mieux appropriées sur les plus récentes des techniques de pointe. Des mesures favorisant le regroupement de PME pourraient servir de catalyseur à l'amélioration des niveaux de qualification, en développant la prise de conscience globale de l'intérêt de la formation, en rapprochant ces PME des programmes de financement public, et par suite en les associant à des écoles d'enseignement technique supérieur et à des centres de recherche susceptibles de développer de nouvelles techniques de production.
      3. Ces actions pourraient également contribuer à supprimer les barrières qui existent généralement entre les syndicats et les PME. Une grande partie de l'hostilité exprimée par ces entreprises face aux actions de recrutement des syndicats vient d'une conception erronée du rôle qu'ils jouent sur le lieu de travail. Les programmes de financement public à l'intention des PME, comme le recours plus fréquent à des "conseillers" de grandes entreprises, pourraient contribuer à informer les dirigeants des PME de l'intérêt des syndicats. Des prêts aux PME consentis par une "banque pour la formation" pourraient être accordés sous condition du droit des travailleurs à la reconnaissance et à la négociation collective. De telles mesures contribueraient à créer un climat de grande confiance entre dirigeants, travailleurs, et syndicats. En Finlande, le gouvernement a introduit, avec le total soutien des partenaires sociaux, un programme favorable à l'émergence d'un tel environnement.


      Etude de cas : 5 - L'approche finlandaise et le soutien aux Petites et Moyennes Entreprises (PME)

      En Finlande, on a pris conscience des problèmes particuliers auxquels se trouvaient confrontées les PME, notamment une insuffisance de professionnels qualifiés et de savoir-faire en matière de technologie et d'économie. Pour contribuer à combler cette lacune, un programme tripartite (KEKO) a été lancé, visant à promouvoir la coopération entre les PME, et à développer les compétences des professionnels en chômage, éducateurs, et consultants, en vue de leur engagement par des PME. Participent à ce programme : le Ministère de l'Emploi, le Ministère de l'Education et le Ministère du Commerce et de l'Industrie, les syndicats représentant les professionnels en chômage, et les organisations d'employeurs représentant les entreprises participantes. Avec le plein soutien des partenaires sociaux, les activités sont coordonnées aux niveaux du gouvernement central et régional.

      Ces professionnels et universitaires, en chômage, suivent un stage de perfectionnement en entreprise tout en participant à un programme de formation supérieure en université ou autre institut de formation, conçu pour satisfaire à la fois leurs propres besoins et ceux de l'entreprise. La durée d'un programme KEKO varie généralement de six à neuf mois, dont 20 % de la formation en établissement institutionnel. Les programmes de formation sont normalement élaborés sur la base de questions communes, comme par exemple la ligne d'activité de l'entreprise, la situation géographique, l'aspect qualitatif du programme ou les besoins du marché à l'exportation. Avec l'aide du gouvernement, les stagiaires reçoivent l'équivalent de l'allocation de chômage, plus une allocation de l'entreprise.

      Depuis sa mise en place en 1994, ce programme a bénéficié à près de 1000 intellectuels en chômage, dont la plupart ont trouvé un emploi permanent dans l'entreprise où ils étaient placés. Environ 2000 stagiaires sont censés participer en 1996, et pour satisfaire à la demande le gouvernement a doublé les ressources assignées au programme.


      1. En ce qui concerne la formation des chômeurs, beaucoup reste encore à faire. Dans les pays membres de l'OCDE, la plupart des aides gouvernementales au chômage sont consacrées à des mesures passives plutôt qu'actives relatives au marché du travail. Les politiques gouvernementales devraient viser à transférer les ressources des mesures passives vers les mesures actives, mais de telle sorte qu'elles assurent le soutien des chômeurs et ne cherchent pas à punir les sans-emploi, comme dans le cas de certains travaux qui leur sont confiés. Les décideurs politiques pourraient tirer profit de l'enseignement de l'exemple danois lors d'une reconsidération de leurs propres systèmes.


    8. COMBATTRE L'EXCLUSION SOCIALE

      1. L'exclusion sociale, par laquelle les travailleurs sont marginalisés par rapport au grand courant d'activité économique et sociale, constitue un problème majeur et croissant à travers l'ensemble de la zone de l'OCDE. Comme indiqué ci-dessus, tous les groupes d'âge sont touchés, mais plus particulièrement les travailleurs des minorités ethniques, plus susceptibles d'être victimes du chômage, et qui connaissent de plus longues périodes sans emploi. Les raisons qui sous-tendent cette situation sont complexes; on peut citer la récession, la discrimination dans l'emploi et, naturellement, la carence d'accès à l'éducation et à la formation. De nouvelles réflexions et de nouvelles politiques sont nécessaires pour surmonter ce problème; parmi celles-ci, l'apprentissage à vie joue un rôle clé.
      2. Ce rôle de l'apprentissage à vie dans le combat contre l'exclusion sociale s'observe en considérant parallèlement la délinquance et la réussite éducative. Des recherches effectuées dans de nombreux pays mettent en lumière le lien entre l'exclusion sociale et la montée de la délinquance qui en découle, l'accroissement du chômage et l'effondrement des salaires des moins payés. Pour inverser ce processus, il faut que les gouvernements développent l'activité économique afin de réduire le chômage et l'insécurité de l'emploi, qu'ils renforcent les systèmes de salaire minimum et de protection de l'emploi, et ce dans un cadre de changement structurel à moyen terme où la croissance économique est induite par des investissements dans l'infrastructure industrielle et publique.
      3. Ces actions seront cependant insuffisantes en elles-mêmes, puisque dans la plupart des cas, ce sont des personnes sans qualification éducative qui sont entraînées vers la délinquance. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis, en particulier, environ vingt-cinq pour cent de la population masculine âgée de 18 à 24 ans ne parviennent pas à terminer la scolarité. Des études révèlent également que près de 70 pour cent de ce groupe d'âge en prison ont abandonné l'école. Le lien avec le marché du travail s'observe dans le fait que les revenus de l'activité criminelle sont souvent plus attractifs que les très bas salaires proposés.
      4. Des politiques appropriées s'imposent pour assurer une scolarité de qualité à la portée de tous. Les personnes socialement exclues, qui habitent le plus souvent dans les lotissements des quartiers pauvres ou des banlieues, ont généralement moins de ressources pour la scolarité, et les conditions de vie sont plus mauvaises que dans les quartiers aisés. Il faut s'attaquer à cette anomalie. En outre, il appartient aux écoles elles-mêmes de tendre la main aux personnes socialement exclues et de s'impliquer dans l'élaboration de programmes et de politiques scolaires afin de les réintégrer dans le système, et qu'ils ne soient plus considérés comme des marginalisés. S'ils ont le sentiment qu'ils peuvent trouver un enjeu dans le système scolaire, les exclus seront plus enclins à y rester pour acquérir des qualifications.
      5. En quittant l'école, les jeunes ont besoin de sentir que les voies de l'emploi ou de l'enseignement postscolaire sont ouvertes à tous. Pour aider les personnes socialement exclues, les conseillers d'orientation et le personnel du service public de l'emploi doivent être formés pour comprendre leurs problèmes et les orienter dans une voie correspondant à leurs besoins. Penser qu'on les oriente simplement vers des emplois sans issue pour servir les intérêts des autres est inadmissible. Il faut que la souplesse préside à la mise en place de l'apprentissage à vie afin de ménager une voie de retour dans le système à ceux qui quittent l'école sans qualification. Il convient de rappeler que les jeunes qui ratent leur scolarité sont fréquemment les victimes d'un système défaillant.
      6. Pour les personnes socialement exclues, l'apprentissage à vie peut aussi devenir un outil les préservant de glisser dans le chômage de longue durée. L'exemple danois exposé ci-dessus montre qu'on peut faire davantage pour éviter ce type de chômage. Les écoles et les établissements techniques doivent s'ouvrir aux chômeurs; il faut regagner leur confiance dans l'apprentissage à vie, comme étant un moyen de réinsertion dans le processus de l'enseignement et le monde du travail. Les travailleurs eux-mêmes auront intérêt à s'y engager, et il incombera aux gouvernements, pour leur part, de garantir un soutien financier à long terme. Par ailleurs, lorsque les gouvernements offrent des incitations financières aux entreprises qui embauchent des chômeurs de longue date, il est nécessaire de veiller à la haute qualité de la formation ou de l'accès à l'enseignement offerts.
      7. La pauvreté au travail peut être atténuée par l'apprentissage à vie. Les travailleurs peu qualifiés, ou totalement démunis, se retrouvent fréquemment sur une voie de garage, ballottés entre le chômage et des emplois sans issue. L'apprentissage à vie doit constituer un tremplin pour échapper à ce cycle de désespoir. La création de "banques pour la formation" et le recours croissant à des "conseillers", largement utilisés, contribueraient à soulager la situation.


    9. RESUME ET ACTIONS A MENER PAR L'OCDE

      1. La présente déclaration du TUAC propose un plan d'action aux Ministres de l'Education, afin d'offrir avec efficacité à tous les citoyens la possibilité d'accéder à l'apprentissage à vie. Des études de cas dans divers pays de l'OCDE y sont présentées, illustrant la coopération des syndicats avec les gouvernements et les employeurs pour réformer les systèmes d'éducation et de formation - processus que le TUAC décrit sous le nom d'approche "partenariale" pour le changement. Il s'agit d'une démarche pragmatique pour mener à bien un changement nécessaire et ouvrir la voie de l'apprentissage à vie.
      2. Les institutions multilatérales peuvent jouer un rôle clé dans cette ouverture. La conférence de juin 1994 en Australie, sur les partenariats dans la réforme de l'éducation, a évoqué les futurs travaux de l'OCDE encourageant l'approche "partenariale". La conférence a conclu que l'OCDE pourrait instaurer un dialogue entre les syndicats et les gouvernements, pour étudier et articuler des moyens permettant une action conjointe pour réduire le chômage, contribuer au développement d'écoles plus efficaces, et aider à répondre au défi de la diversité sociale.
      3. Le TUAC approuve ces recommandations et demande aux Ministres de l'Education des pays de l'OCDE d'approuver pareillement l'approche "partenariale" pour l'apprentissage à vie, telle que proposée dans cette déclaration, et de l'incorporer dans la charte du Comité de l'Education de l'OCDE lors du renouvellement de son mandat en 1996. L'OCDE devrait également jouer un rôle de catalyseur et Ïuvrer avec le TUAC, ses organisations affiliées, et organisations partenaires dans le domaines de l'éducation, afin d'établir un cadre pour la coopération avec le mouvement syndical, et formuler ainsi que mettre en Ïuvre des propositions politiques pour l'apprentissage à vie.

Return to index  Back to top