Introduction et résumé
1. En mars 1994, les ministres participant à la première
Conférence du G7 sur l'Emploi, à Détroit, s'étaient
fixé comme objectif de "renforcer la croissance pour créer
davantage d'emplois de meilleure qualité et réduire le chômage" (1).
Pourtant, en 1997, il y a encore 36 millions de chômeurs dans les
pays de l'OCDE, les taux de chômage ont augmenté dans la plupart
des pays européens, aux Etats-Unis, le salaire réel de 60
pour cent des salariés les moins bien payés est toujours
inférieur à celui de 1973 et le Japon est confronté
à la récession.
2. Pour un grand nombre de ménages actifs, l'intégration
économique internationale de plus en plus poussée s'est accompagnée
d'un accroissement de l'insécurité, de la rationalisation,
de la pression de la concurrence et de la crainte du chômage. Dans
ces circonstances, il existe un réel danger de voir la cohésion
sociale se dissoudre et entraîner une réaction de rejet de
la part de l'opinion publique, face au système mondial des échanges
et des investissements.
3. La cause de ce malaise social n'est pas tant la mondialisation que
le fait de manquer d'efficacité dans la gestion des marchés
mondiaux et de mettre en place de bonnes politiques intérieures.
Les pays industrialisés doivent parvenir à une croissance
plus rapide et respectueuse de l'environnement. Ils doivent faire en sorte
que celle-ci se traduise par une augmentation du nombre d'emplois. Ils
doivent rétablir le lien entre un accroissement du nombre d'emplois
et des emplois de meilleure qualité assortis d'une progression des
salaires et ils doivent garantir la protection des droits des travailleurs
dans le cadre du système multilatéral. Ils se doivent aussi
de faire profiter les pays en développement des bienfaits de la
croissance durable.
4. Les syndicats ont un rôle capital à jouer pour permettre
la réalisation de ces objectifs. Ils sont nécessaires pour
assurer la protection des travailleurs face à l'insécurité
croissante, pour contrôler la propagation des emplois précaires,
aider à lutter contre les bas salaires et à syndiquer les
femmes qui sont de plus en plus nombreuses à travailler et les nouvelles
catégories professionnelles. Dans leurs stratégies de négociation
collective les syndicats ont pris l'initiative, lors des négociations,
de donner priorité à l'emploi. Dans de nombreux pays, les
syndicats participent activement à la mise en oeuvre de systèmes
prévoyant l'apprentissage à vie et l'application de mesures
actives visant le marché du travail. Au niveau de l'entreprise,
ils peuvent jouer un rôle capital pour permettre aux travailleurs
de se faire entendre lorsqu'il est question de changements structurels
et technologiques. Les pouvoirs publics et les employeurs doivent accepter
et encourager le partenariat actif des syndicats pour gérer les
changements dans l'entreprise.
5. La série de réunions internationales à haut
niveau, sur l'emploi, qui vont se tenir prochainement - la réunion
des ministres du Travail de l'OCDE (en octobre) ; le Sommet de l'Union
européenne, sur l'Emploi (en novembre) ; la Conférence
du G8 sur l'Emploi, à Kobé (en novembre) ; et la Conférence
du G8 sur l'Emploi, à Londres (en février 1998) doivent être
l'occasion pour les gouvernements de démontrer que des progrès
décisifs ont été accomplis dans la réalisation
de ces objectifs. Cette tâche dépasse les attributions classiques
des ministres du Travail. Les mesures à prendre pour réduire
le chômage, créer des emplois de qualité et combattre
l'exclusion sociale doivent être la responsabilité collective
des pouvoirs publics par le biais d'une coopération entre tous les
ministères et les banques centrales. De concert avec les partenaires
sociaux, les gouvernements doivent s'engager à :
- lancer une initiative en faveur d'une croissance durable ;
- mettre en oeuvre une stratégie permettant de traduire la
croissance en emplois de qualité :
. en luttant contre les bas salaires,
. en développant les emplois dans le secteur des services,
. en encourageant l'emploi durable,
. en prenant des mesures actives visant le marché du travail,
. en mettant en oeuvre l'apprentissage à vie,
. en établissant un partenariat pour le changement sur le
lieu de travail,
. en gérant l'aménagement du temps de travail et en
allongeant le temps d'apprentissage ;
- s'adapter à une société vieillissante ;
et
- faire respecter les droits des travailleurs dans le cadre du système
mondial des échanges et des investissements.
Une initiative en faveur d'une croissance durable
6. Les marchés du travail ne peuvent pas résoudre les
problèmes ayant leur origine dans un autre secteur de l'économie.
Le maintien d'une croissance plus rapide et d'une conjoncture économique
soutenue est essentiel à la création d'emplois bien rémunérés.
Il faut surmonter la faiblesse des mécanismes de définition
des politiques. Actuellement, les différents gouvernements sont
incités à mettre en oeuvre des politiques d'austérité
qui leur donnent un avantage particulier sur les marchés mondiaux
des obligations. Lorsque tous les pays suivent de telles politiques, il
en résulte une grave dérive déflationniste de la politique
économique.
7. Il est indispensable d'assurer une véritable coordination
au niveau macroéconomique en vue de stimuler la croissance. Au Japon,
il faut accroître la demande intérieure. Aux Etats-Unis, une
politique monétaire expansionniste a révélé
que la croissance pouvait être soutenue. En Europe, il existe des
possibilités de croissance plus rapide sans inflation. Une action
concertée est nécessaire pour garantir de faibles taux d'intérêt
réels et il faut mettre en place, avec la constitution de l'Union
monétaire européenne, un cadre efficace favorable à
la croissance et à l'emploi. Les réserves de l'Union européenne
devraient servir à mettre en oeuvre des projets d'investissement
dans les infrastructures, respectueux de l'environnement. Une stratégie
de ce type contribuerait aussi à maintenir la croissance dans le
monde entier. Elle doit également concorder avec les stratégies
relatives à la pérennité de l'environnement et la
réduction des émissions de gaz entraînant un effet
de serre.
8. Les pouvoirs publics doivent maintenir une base d'imposition correcte
afin d'alimenter les finances publiques dans le contexte de la mondialisation.
Faute d'avoir suffisamment taxé les entreprises multinationales,
le revenu du capital et les bénéfices, il s'est produit une
érosion de l'assiette fiscale et un glissement du fardeau fiscal
vers les travailleurs qui en supportent une part disproportionnée.
Le transfert du poids de la fiscalité sur la consommation, au bénéfice
des revenus, a rendu les systèmes plus régressifs. Il faut
instituer des accords internationaux pour assurer une imposition équilibrée
du capital et des bénéfices tout en mobilisant le soutien
de l'opinion publique en faveur d'un régime fiscal équitable.
L'OCDE doit jouer un rôle de pionnier pour empêcher une concurrence
fiscale préjudiciable.
Traduire la croissance en emplois de qualité
9. Il est indispensable que les partenaires sociaux et les pouvoirs
publics mènent une action conjointe pour faire en sorte que la croissance
économique plus rapide se traduise par une croissance des emplois
de qualité qui évite les goulets d'étranglement inflationnistes.
Pour cela, il faut des marchés du travail adaptables qui encouragent
l'innovation, facilitent les investissements en capital humain dans l'ensemble
de la population active et pendant toute la durée de la vie active,
qui luttent contre l'exclusion sociale et produisent des résultats
équitables et rationnels. Ce scénario est bien différent
de la déréglementation grossière des marchés
du travail qui accroît les inégalités, diminue la protection
des emplois et entraîne davantage d'insécurité. Dans
le cadre de ce processus de changement, il faut mettre les travailleurs
en confiance et qu'ils se sentent en sécurité. Le rôle
des syndicats est fondamental pour parvenir à ce résultat.
Lutter contre les bas salaires
10. Augmenter le nombre d'emplois à bas salaire n'est pas une
solution acceptable au problème du chômage. Les chômeurs
pauvres se transforment en travailleurs pauvres et pays et entreprises
élaborent des stratégies de concurrence fondées sur
des bas salaires et une organisation du travail désuète.
Les travailleurs à bas salaires restent souvent bloqués dans
ces emplois, la pauvreté des ménages s'intensifie et la cohésion
sociale se trouve menacée.
11. Il y a lieu de mettre au point une stratégie de création
d'emplois et de lutte contre les bas salaires. Il faut, pour fixer les
salaires plancher qui éliminent l'exploitation des travailleurs
à bas salaires, reconnaître le rôle que doivent jouer
les salaires minimums fixés par la loi et par les négociations
collectives. Un salaire plancher fixé de manière équitable
peut encourager l'adoption concertée de mesures destinées
à améliorer la productivité des travailleurs, notamment
dans les secteurs à bas salaires. L'expérience d'un certain
nombre de pays a révélé que les salaires minimums
peuvent permettre de lutter efficacement contre la pauvreté sans
porter préjudice aux perspectives d'emploi. Le système des
prélèvements et prestations a un rôle complémentaire
important à jouer. Dans certains pays, les systèmes de crédits
d'impôt se sont révélés efficaces pour diminuer
la pauvreté des ménages à faibles revenus. Ils représentent
une forme essentielle de solidarité mais non pas une panacée
pour régler les problèmes d'inégalité occasionnés
par le marché du travail.
L'expansion de l'emploi dans le secteur des services
12. Le potentiel de création d'emplois est pratiquement illimité
dans les secteurs où les besoins sociaux ne sont pas satisfaits.
Il y a une demande croissante de soins de proximité de meilleure
qualité pour les personnes âgées et de services de
garde pour les enfants d'âge préscolaire. L'éducation,
les soins de santé et la protection de l'environnement sont autant
de sources nouvelles de création d'emplois. Dans bien des cas, le
marché ne peut pas répondre à ces besoins. L'action
des pouvoirs publics et les mesures actives en faveur de l'emploi doivent
combler ce déficit. Il reviendra au secteur public de continuer
à générer des emplois, non seulement en tant qu'employeur
direct mais aussi comme régulateur et promoteur de l'emploi dans
le secteur privé. Il existe des domaines où de nouveaux systèmes
novateurs d'intervention des pouvoirs publics (aide à l'emploi,
redevances d'utilisation et marchés publics) peuvent permettre au
secteur public d'identifier des besoins à satisfaire en associant
prestations publiques et privées. Certains pays ont adopté
des méthodes novatrices dans le secteur social et le secteur coopératif.
Mais que les services soient de nature publique ou privée, il appartiendra
aux pouvoirs publics de garantir le respect de normes déterminées.
Les qualifications et les capacités des travailleurs dans ces secteurs
sont souvent élevées, tout comme la productivité.
Il faudra donc adapter les systèmes d'évaluation pour refléter
le niveau réel des compétences et l'accroissement de productivité
de ces emplois. A l'avenir, les bas salaires des professions "dites
féminines" ne seront plus acceptés. La société
doit rémunérer équitablement la prestation de services.
Encourager l'emploi durable
13. Outre la restauration du plein emploi, l'un des grands défis
que doivent relever les pays de l'OCDE consiste à parvenir au développement
durable et à éviter une modification du climat de la planète.
Les marchés du travail seront aussi confrontés à de
rapides changements. Les politiques de développement durable doivent
aller de pair avec des politiques d'emploi durable. Les ministres du Travail
devraient prendre une part beaucoup plus active aux débats sur le
développement durable en intégrant les mesures d'hygiène
et de sécurité et de protection de l'environnement sur le
lieu de travail dans les programmes d'action destinés à assurer
un développement durable.
14. Les pouvoirs publics devraient rechercher un "double dividende"
en substituant des redevances sur l'exploitation et la consommation des
ressources de l'environnement à l'impôt sur le travail. Cependant
l'écotaxe n'est pas la panacée et un certain scepticisme
demeure quant à la possibilité d'un redéploiement
total de la fiscalité. Les nouvelles redevances peuvent avoir des
retombées négatives sur l'emploi et les revenus, une incidence
sur la compétitivité nationale en l'absence d'accords multilatéraux
et on peut se demander si les ressources de l'environnement fourniront,
à long terme, une base d'imposition stable. Malgré ces réserves,
il est admis que les systèmes actuels de taxation et de réglementation
émettent souvent des signaux de prix erronés ce qui freine
l'innovation et décourage l'investissement à long terme dans
l'environnement. L'importance excessive accordée, dans les décisions
financières, aux coûts de main d'oeuvre par rapport à
l'utilisation des ressources, entrave également la production durable.
Il importe donc que l'OCDE étudie de manière plus approfondie
l'efficacité des régimes d'imposition qu'appliquent certains
pays de l'OCDE et encourage la réforme de l'écotaxe pour
ce qui est de ses retombées sur l'emploi.
Mesures actives visant le marché du travail
15. Les mesures actives visent essentiellement à remettre les
chômeurs au travail le plus rapidement possible et, lorsqu'elles
réussissent, elles sont de loin préférables à
une garantie de ressources reçue dans la passivité. Cependant
elles n'ont d'efficacité que sur un marché du travail soutenu
et dynamique. Elles doivent avoir un caractère anticipatif - et
permettre le recyclage et les mesures de placement avant que le changement
ne se produise et sans aucun doute, avant d'entrer dans le chômage
de longue durée. L'expérience a montré que la meilleure
solution consiste à établir un lien entre les services de
l'emploi et les organismes de formation et les services décentralisés.
Il est capital que les syndicats participent à l'élaboration
et à la mise en oeuvre de ces mesures.
16. L'attitude des syndicats face aux services de l'emploi et aux organismes
de formation dépend de leur impartialité et de leur capacité
à servir les travailleurs. Lorsque les travailleurs s'aperçoivent
que les services de l'emploi prennent fait et cause uniquement pour les
employeurs ou sont utilisés pour pénaliser les travailleurs,
les services perdent de leur efficacité. La Convention tripartite
de l'OIT, de 1997, sur les agences d'emploi privées prévoit
une série de mesures de protection pour les activités des
agences d'emploi privées faisant en sorte que les pouvoirs publics
conservent finalement le pouvoir de mettre au point la politique du marché
du travail.
Mise en oeuvre de l'apprentissage à vie
17. Au cours de leur réunion de 1996, les ministres de l'Education
des pays de l'OCDE ont appelé à un "partenariat social"
impliquant la participation des syndicats, des employeurs, des parents
et des enseignants, pour faire de l'apprentissage à vie une réalité.
Il faut maintenant y donner suite en coopération entre les ministres
du Travail et de l'Education. Autrement, l'apprentissage à vie restera
un slogan creux. Il faut envisager notamment :
- un accroissement de l'investissement public dans l'enseignement de
base, ciblé sur l'amélioration de la qualité du système
éducatif et visant en particulier les élèves susceptibles
d'abandonner leur scolarité et les défavorisés ;
- la concertation en vue de faire évoluer et d'améliorer
en permanence les pratiques éducatives ;
- l'élargissement de l'accès à l'enseignement post-scolaire
et supérieur et la prise en compte de la formation des adultes ;
- l'introduction d'objectifs ambitieux en matière de formation
et de recyclage ;
- la participation des syndicats à l'élaboration, au suivi,
à l'évaluation et à la promotion des systèmes
relatifs à la certification des qualifications et des compétences
garantissant aux individus, leur vie durant, la transférabilité
de leurs acquis ;
- le développement des plans de rotation du travail entre les
chômeurs de longue durée et les travailleurs souhaitant prendre
un congé de formation ;
- la création de banques de formation à l'intention des
petites et moyennes entreprises, avec la participation des partenaires
sociaux.
La concertation pour gérer le changement sur le lieu de travail
18. Les entreprises peuvent accroître leur compétitivité
en devenant des "lieux de travail à haute performance faisant
une large place aux connaissances" grâce à l'innovation
technologique et aux nouveaux modes d'organisation du travail fondés
sur des compétences plus élevées et plus diversifiées,
des relations professionnelles d'une grande fiabilité et moins hiérarchisées.
Trop peu d'entreprises ont suivi cette voie et un trop grand nombre demeurent
obsédées par l'idée de la flexibilité à
court terme qui se caractérise par des réductions d'effectifs,
la déstratification hiérarchique, et la sous-traitance. La
crainte et l'insécurité règnent dans l'entreprise ;
la formation est négligée et les travailleurs manifestent
plus d'opposition que d'enthousiasme face au changement. Les travaux de
l'OCDE ont démontré que les échecs de la direction
peuvent empêcher une entreprise d'atteindre des niveaux élevés
de performance. Il faut que les syndicats puissent unir leurs efforts à
ceux des travailleurs pour faire en sorte que le changement s'opère
dans des conditions optimales.
19. Les pouvoirs publics peuvent prendre des dispositions pour faciliter
ce changement. Ils devraient créer un climat de sécurité
en instaurant une garantie de droits fondamentaux de l'emploi. En associant
politique novatrice et mesures d'incitation, ils peuvent encourager la
bonne pratique en matière de changement dans l'entreprise.
Gérer l'aménagement du temps de travail et la prolongation
de l'apprentissage
20. Au cours des quinze dernières années, la durée
moyenne de travail par salarié a augmenté dans de nombreux
pays de l'OCDE. Par contre, la baisse traditionnelle enregistrée
dans d'autres pays s'est ralentie. Ces tendances aggravent la situation
de l'emploi. Les gains de productivité des entreprises devraient
être plus largement répartis sous forme d'une diminution générale
du temps de travail et de création d'emplois. Cet objectif est réalisable
lorsque les travailleurs participent à la réorganisation
du travail et à l'aménagement du temps de travail. Dans le
cadre de négociations élargies intervenues dans différents
pays et secteurs, les syndicats ont conclu des accords sur des temps de
travail flexibles en échange de réductions de la durée
du travail.
21. Les travailleurs à temps partiel devraient bénéficier
des mêmes droits que les travailleurs à temps plein de manière
à mettre le travail à temps partiel sur un pied d'égalité
avec le travail à temps plein et éliminer le travail à
temps partiel et le travail temporaire involontaires. Il serait ainsi plus
facile de réaliser un partage socialement acceptable du travail
et possible de choisir volontairement le travail à temps partiel.
L'exploitation grossière sous forme de "contrats de travail
à heure zéro" (zero-hour contracts) et d'emplois occasionnels
doit être réglementée.
22. L'économie "fondée sur le savoir" et l'orientation
vers une société de l'information allongent le temps d'apprentissage
des travailleurs pour qu'ils puissent s'adapter au changement structurel
et aux innovations en matière d'organisation des entreprises. Il
serait donc utile que la réduction et l'aménagement du temps
de travail servent aussi à consacrer plus de temps à l'apprentissage
et à la formation par, et dans, les entreprises ce qui peut véritablement
faire partie d'une stratégie de l'apprentissage à vie.
S'adapter à une société vieillissante
23. Dans la plupart des pays de l'OCDE, l'évolution démographique
pose un grave problème par suite du vieillissement important des
populations. Un nouvel élément important à prendre
en considération est plutôt celui des rapports de dépendance
économique que l'âge de la population proprement dite. Paradoxalement,
au cours des vingt dernières années, il s'est produit une
baisse sensible du taux d'activité des travailleurs âgés.
L'âge moyen de départ en retraite a baissé et les travailleurs
âgés ont été les premiers touchés par
les licenciements et de ce fait leur taux de chômage et leur taux
d'inactivité se situent au-dessus de la moyenne.
24. Il ne faudrait pas encourager les entreprises à mettre les
travailleurs en retraite anticipée obligatoire. L'expérience
professionnelle des travailleurs âgés n'est pas suffisamment
utilisée. Il existe cependant des cas de "bonne pratique"
où, suite à l'introduction de nouvelles techniques dans les
entreprises, la diversification du cadre de travail a contribué
à améliorer la production et le contrôle de la qualité.
Des mesures d'incitation pourraient être prises en faveur des entreprises
pour qu'elles offrent la possibilité aux travailleurs âgés
d'assurer les fonctions de formateurs dans le cadre des dispositifs de
formation des entreprises et de participer ainsi activement à la
mise en oeuvre de l'apprentissage à vie.
25. Il est souhaitable d'aménager des formules souples de départ
volontaire à la retraite et il faudrait en particulier aller plus
loin pour réussir à assurer une transition progressive de
la vie active à la retraite. Ces dispositions devraient s'insérer
dans une approche plus large de la gestion de la durée de la vie
professionnelle. Il est nécessaire de prévoir des emplois
du temps plus souples, des interruptions de carrière, des congés
d'études et de formation pour les hommes et les femmes afin de répondre
aux pressions qui s'exercent sur la politique familiale à la suite
des changements démographiques et de l'activité de la main
d'oeuvre féminine.
26. Le financement des dispositions concernant la vieillesse dépend
avant tout de l'évolution de la situation macroéconomique
et de la solidarité sociale. La croissance économique, la
productivité du travail, le niveau d'emploi et le taux d'activité
de la main d'oeuvre déterminent la marge de manoeuvre dont nous
disposerons à l'avenir. Mais il faudra peut-être s'adapter,
à long terme, pour répondre aux nouvelles conditions sociales
et démographiques. C'est pourquoi il faut appliquer le principe
d'égalité des droits et des chances pour toutes les générations,
et de justice sociale. Il découle de ces considérations que
les pouvoirs publics ont l'entière responsabilité de surveiller
les systèmes de pensions de retraite. De toutes façons, à
l'heure actuelle, ces pensions doivent être financées au moyen
de transferts entre les travailleurs et les retraités. La privatisation
des systèmes d'Etat a été présentée
comme une solution facile pour que les pouvoirs publics échappent
à leurs obligations financières ; cependant, les systèmes
de retraite par capitalisation transfèrent les risques vers les
marchés financiers. Le droit à la sécurité
sociale et l'accès à ses différentes prestations devront
être placés dans le cadre de régimes d'application
universelle, responsables à l'égard du public.
27. Dans les pays de l'OCDE, où les caisses de retraite privées
jouent un rôle important dans le versement des pensions, une réglementation
plus rigoureuse de la gestion des fonds et du contrôle prudentiel
est indispensable. La sécurité des fonds de pension revêt
encore plus d'importance compte tenu de la mondialisation des marchés
financiers. Dans de nombreux cas, la déréglementation a conduit
les gestionnaires des fonds des entreprises soit à investir dans
des activités hautement spéculatives avec les risques que
cela représente, soit à placer les capitaux dans d'autres
investissements inadaptés. Les pensions de retraite constituant
une sorte de salaire différé, les travailleurs et leurs syndicats
devraient avoir le droit de co-gérer les fonds de pensions.
Garantir les normes fondamentales du travail dans les accords relatifs
aux échanges et à l'investissement
28. Les gouvernements sont en train d'étendre à l'échelle
mondiale la portée de leurs législations nationales sur la
propriété intellectuelle et les droits des investisseurs.
Ils n'ont pas fait preuve d'autant d'empressement pour garantir les droits
fondamentaux des travailleurs et les droits de l'homme dans le monde entier
et en cela ils ont tort. Cette attitude ne fera que renforcer l'opinion
selon laquelle la mondialisation est un "nivellement par le bas"
qui privilégie la propriété au détriment de
l'être humain. Le système multilatéral est tributaire
du soutien apporté par les pays. Ce soutien ira en s'amenuisant
si l'on ne fait pas cas des préoccupations des travailleurs. Dans
le monde entier, il faut faire disparaître le travail dans les ateliers
clandestins où la main d'oeuvre est sous-payée (sweat shops).
Il faut que les normes fondamentales du travail soient garanties dans les
accords relatifs aux échanges et à l'investissement.
29. Il y a eu accord sur la définition des droits fondamentaux
du travail comme en atteste la déclaration de Singapour, adoptée
lors de la réunion de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC)
en décembre 1996 et qui a mis l'accent sur : la liberté
syndicale et la protection du droit syndical, le droit d'organisation et
de négociation collective, la protection contre le travail forcé
ou obligatoire et l'abolition du travail forcé, la protection de
la main-d'oeuvre enfantine (âge minimum requis), l'égalité
de rémunération entre hommes et femmes et la protection contre
la discrimination en matière d'emploi et de profession. L'Etude
de l'OCDE sur les Echanges et les Normes du Travail a démontré
qu'il peut exister une relation bilatérale positive entre ces normes
et des politiques d'échanges ouverts. Il reste cependant à
résoudre la question de leur application. Dans les zones franches
d'exportation et ailleurs, les droits syndicaux sont de plus en plus souvent
l'objet de violations. En Corée, la tentative des pouvoirs publics
et des employeurs de restreindre encore davantage la liberté syndicale
pour réagir à la concurrence mondiale a été
rejetée par les travailleurs coréens.
30. La "déclaration de Singapour" a donné mandat
à l'OMC et à l'OIT pour qu'elles poursuivent les travaux
sur la question des normes du travail. L'OIT devrait renforcer ses procédures
de ratification et de contrôle des normes fondamentales du travail.
Les Examens des Politiques commerciales menés à bien par
l'OMC devraient rendre compte des violations des droits fondamentaux du
travail. Il faut renforcer le dialogue entre l'OMC et l'OIT en prévision
de la Conférence ministérielle de l'OMC en mai 1998. Les
accords commerciaux hémisphériques et régionaux doivent
comporter des clauses relatives aux droits des travailleurs. La Banque
mondiale et le Fonds monétaire international devraient intégrer
l'obligation de respecter les normes fondamentales du travail dans toutes
leurs politiques de prêt et d'ajustement structurel.
31. L'OCDE doit développer son système de surveillance
et de pressions par les pairs pour faire respecter les normes fondamentales
dans les pays membres et prendre des dispositions pour que la Corée
mette rapidement en application les engagements qu'elle a pris. Il faut
inclure les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises
multinationales dans l'Accord multilatéral de l'OCDE sur l'Investissement
et insérer une clause sociale contraignante fondée sur les
normes fondamentales reconnues à l'échelon international.
Suite à la mission qui lui a été confiée, l'OCDE
doit poursuivre ses travaux sur les questions des droits des travailleurs,
en ce qui concerne l'investissement, les zones franches d'exportation et
dans le cadre de son dialogue avec les pays non membres.
Note:
(1) Déclaration succincte de la présidence
à la Conférence du G7 sur l'Emploi, Détroit, 15 mars
1994.