L'Accord multilatéral sur l'investissement
de l'OCDE
Concepts fondamentaux et Réponse des
Syndicats
Document de Travail
Roy Jones
Premier Conseiller politique - TUAC (1)- OCDE
Janvier 1998
Résumé
Les négociations en vue de la signature d'un Accord multilatéral
sur l'investissement (AMI) entre les gouvernements des pays de l'OCDE approchent
de l'échéance d'avril 1998. Conçu pour faciliter et
élargir l'investissement international en se fondant sur un concept
de non-discrimination entre investisseurs nationaux et étrangers,
l'AMI aurait pour résultat une extension de la mondialisation économique
aux pays développés comme aux pays en voie de développement.
Par ailleurs, les multinationales pourraient forcer des gouvernements à
changer des textes de loi qui ne se conformeraient pas à l'AMI sous
peine de pénalités. Les pressions des syndicats et des ONG,
ainsi qu'une prise de conscience croissante chez certains gouvernements
des dangers que comportait le projet de départ de l'AMI ont contraint
à amender son texte. En revanche, il y aurait maintenant plus de
chances d'obtenir que des règles contraignantes en matière
de protection du travail et de l'environnement soient ajoutées à
l'Accord.
Le but du présent document de travail est d'élargir
le débat, de jeter la lumière sur l'AMI et le démystifier
en soulignant les points qui prêtent à controverse et d'insister
sur ce qui a été fait par les syndicats et par d'autres pour
s'assurer que les problèmes d'emploi et d'environnement soient dûment
pris en compte dans l'Accord. Après un rapide bilan des conséquences
de la mondialisation pour les travailleurs, nous parlerons de la genèse
de l'AMI avant de cerner ses concepts fondateurs et d'exposer les controverses
qu'ils suscitent. Nous énoncerons ensuite la réponse des
syndicats avant de donner la synthèse des derniers événements.
Enfin, le rapport se penche sur les questions qui pourraient faire aboutir
ou trébucher l'AMI ainsi que sur les mécanismes de mise en
oeuvre et de ratification.
Historique - Mondialisation et normes du travail
La mondialisation, c'est-à-dire l'intégration accélérée
de l'activité économique au-delà des frontières
nationales et régionales, est devenue le leitmotiv du débat
économique et social de la fin du vingtième siècle.
Quoique le commerce international conserve un rôle majeur dans le
processus de la mondialisation, c'est l'investissement étranger
direct (IED) contrôlé par les multinationales qui est devenu
le moteur de la mondialisation. Au cours des dix dernières années,
l'IED a crû quatre fois plus vite que le PIB et trois fois plus vite
que le volume des échanges. Le nombre des multinationales est passé
de 7.000 au début des années quatre-vingt-dix à près
de 40.000 aujourd'hui. Cependant, ces multinationales ont peu en commun,
que ce soit par la taille ou par leur ancrage sectoriel. Pour ce qui est
de la taille, même si les petites et moyennes entreprises sont plus
nombreuses parmi les multinationales, on constate une concentration et
une monopolisation qui fait que un pour cent des entreprises représentent
la moitié du volume total de l'IED. Quant à l'ancrage sectoriel,
l'IED dans les services est maintenant supérieur à celui
du secteur manufacturier.
Les liens entre commerce et investissement sont d'une complexité
telle que les multinationales sont devenues les principaux acteurs du développement
des échanges dont, à titre d'exemple, un tiers se font à
l'intérieur d'une même multinationale et un tiers entre multinationales.
Les multinationales sont donc présentes dans la vie de presque
tous les travailleurs, directement ou indirectement par des mécanismes
complexes de sous-traitance et d'externalisation. Aujourd'hui, la privatisation
implique souvent un transfert de propriété dans des mains
étrangères. Le tout couronné par les organisations
internationales qui contrôlent les marchés financiers, fixant
ou influençant des taux d'intérêt qui, en définitive,
conditionnent l'évolution des économies.
Il est exact que les multinationales peuvent être bénéfiques
sur le plan économique et social; nul ne le conteste. Mais il est
tout aussi vrai qu'elles peuvent avoir un impact négatif sur les
conditions des travailleurs et qu'elle peuvent influencer positivement
ou négativement l'évolution d'un pays. Le dernier numéro
de International Unions Rights attirait à juste titre l'attention
sur l'impact des multinationales sur les travailleurs. En résumé,
il suggérait que la mobilité des capitaux (et, surtout, leur
mobilité potentielle) a fait basculer l'équilibre du pouvoir
au détriment des Etats et des travailleurs et au profit de ceux
qui détiennent le capital, lesquels ont fait pression sur les gouvernements
pour qu'ils aillent plus loin dans l'abaissement de l'imposition du capital,
la libéralisation du marché et la commercialisation des services
publics, la déréglementation du marché du travail
et la privatisation.
Pour les travailleurs et les syndicats, cette possibilité de
"sortir" et de délocaliser ses activités a eu une
influence sur le processus de négociation. Comme le disait le président
de la plus grande fédération patronale de la construction
mécanique et du secteur électrique d'Allemagne en évoquant
la force des employeurs : "Aujourd'hui, ils disent ne plus vouloir
de cet accord parce qu'ils ont quatre ou cinq voies de sortie. Il leur
suffit de relocaliser 10.000 emplois en République tchèque
ou d'externaliser."(2) C'est ce que confirma en 1996 une enquête
de la TUAC auprès de ses affiliés sur le respect des Principes
directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales
et qui constatait que les multinationales recourent de plus en plus à
la menace de la délocalisation pour influencer l'issue de la négociation
collective, qu'elles retiennent des informations pour défavoriser
les syndicats pendant la négociation et qu'elles foulent parfois
au pied les droits des syndicats, allant jusqu'à couper tout lien,
tout en sapant les normes d'environnement, d'hygiène et de sécurité.(3)
Le débat sur la mondialisation et l'Accord multilatéral
sur l'investissement (AMI)
Avec l'AMI que négocie l'OCDE, on entre de plain pied dans le
débat sur la mondialisation. Le concept de base de cet Accord est
simple : à travers les principes du traitement national et de la
nation la plus favorisée, les gouvernements des pays membres doivent
traiter les investisseurs étrangers sur un pied d'égalité
avec leurs nationaux. Ainsi, les gouvernements pourraient toujours appliquer
des politiques de nature à renforcer la législation sociale
et environnementale, pour autant que ces politiques ne soient pas plus
rigoureuses pour les investisseurs étrangers que pour ceux du pays.
En revanche, les investisseurs étrangers auraient un recours légal
contre les gouvernements ou les administrations locales qui enfreindraient
ces principes de non-discrimination. Or, comme nous allons le voir, ces
principes, de même que d'autres éléments du projet
d'AMI, pourraient avoir des conséquences très profondes dans
certains pays où l'AMI est au centre d'une controverse.
Avant l'ouverture des négociations de l'AMI, lors du Conseil
des ministres de mai 1995, le Comité de l'investissement international
et des entreprises multinationales (CIME) de l'OCDE avait procédé
à une étude de faisabilité de quatre ans sur ce que
pourrait contenir un éventuel accord. En parallèle allait
s'ouvrir un débat sur la question de savoir qui, de l'OMC ou l'OCDE,
était compétente en la matière. Les pays industrialisés
optèrent pour l'OCDE, pensant que les pays membres de l'OMC mais
extérieurs à l'OCDE s'opposeraient sans doute au programme
de libéralisation proposé pour l'AMI par les gouvernements
du G7, un peu comme ils l'avaient fait pendant le cycle de l'Uruguay de
négociations sur la libéralisation des échanges. Or,
une fois négocié au niveau de l'OCDE, les pays qui ne sont
pas membres de l'OCDE pourraient toujours négocier leur adhésion
à l'AMI. Cette stratégie donnerait ainsi un traité
de référence pour des négociations ultérieures
à l'OMC.
Le Conseil des ministres de mai 1995 accepta les conclusions de l'étude
de faisabilité, lesquelles laissaient aux négociateurs un
programme très vaste sur base duquel ils disposaient de deux ans
pour mener l'AMI à terme. Cependant, l'échéance de
mai 1997 péchait par optimisme et les ministres de l'OCDE prorogèrent
les négociations de douze mois. En réalité, comme
nous allons le voir, il se pourrait encore que l'AMI ne soit pas au rendez-vous.
Pour en comprendre la raison, il faut analyser le contenu du projet et
faire le point sur l'état des négociations.
Concepts fondamentaux de l'AMI
Au départ, les négociateurs voulaient se mettre d'accord
sur un traité contraignant suivant une approche descendante, lequel
couvrirait tous les secteurs de l'économie et irait bien au-delà
des 1.630 traités bilatéraux sur l'investissement (TBI) actuellement
en vigueur. Le concept de l'accord descendant a son importance étant
donné que, dans les faits, tous les secteurs qui n'étaient
pas explicitement exclus ou qui ne bénéficiaient pas d'une
dérogation au niveau national tomberaient sous le coup de l'Accord.
Ce principe s'écarte résolument du processus de l'OMC où
seuls les secteurs mentionnés dans un accord relèvent de
celui-ci.
La définition de l'investissement ne suscite aucune contestation,
quoiqu'elle soit la plus large jamais donnée puisqu'elle englobe
les actions et obligations (et assimilés), l'immobilier, en plus
de l'investissement direct. L'AMI prévoira aussi des garanties pour
l'investissement proprement dit et pour la démarche d'investissement.
En cela, il va plus loin que la plupart des TBI qui se limitent à
protéger les investissements qui se sont concrétisés.
Ses détracteurs craignent que les gouvernements en soient encore
plus incités à libéraliser leur réglementation
intérieure dans des domaines essentiels afin de désamorcer
la menace d'un recours légal de la part de multinationales voulant
s'implanter sur leurs marchés. Pour ce qui est de la couverture,
les "mesures" englobant les lois, les règlements et les
pratiques administratives doivent porter sur tous les niveaux de l'administration
: centrale, fédérale, locale, Etats et provinces. Ce point
prête à controverse et certains gouvernements font l'objet
de pressions pour qu'ils exemptent les niveaux infranationaux de l'administration.
Ainsi, le fait que le Canada soit un Etat fédéral où
bien des politiques sont mises en oeuvre au niveau infranational, dans
les domaines du social, de l'environnement, de la santé et des services
sociaux, par exemple, a incité le gouvernement de la Colombie-Britannique
à signifier officiellement son opposition à l'AMI.
Comme nous l'avons vu, le concept fondateur de l'AMI est la non-discrimination
entre les investisseurs nationaux et leurs investissements et les investisseurs
étrangers. C'est ce qu'il est convenu d'appeler le principe du traitement
national. En parallèle, le principe de la nation la plus favorisée
signifie que, lorsqu'un pays a accordé un traitement donné
à un investisseur ou un investissement étranger, il ne peut
réserver un traitement moins favorable à aucun autre investisseur
ou investissement. Ces deux principes s'appliquent avant et après
qu'un investissement soit réalisé, c'est-à-dire lors
de "l'établissement, l'acquisition, le développement
de l'activité, la gestion, la maintenance, l'utilisation, la jouissance
et la vente et la liquidation de l'investissement." Les partisans
de l'AMI font valoir qu'il s'agit seulement de placer les investisseurs
nationaux et étrangers dans des conditions identiques. Ses détracteurs
affirment que ces mesures, ajoutées aux garanties légales
offertes aux investisseurs et à leurs investissements auraient pour
effet de donner aux multinationales un moyen de pression considérable
sur les gouvernements. De plus, quoique les gouvernements n'aient pas l'obligation
d'accorder un traitement plus favorable aux investisseurs étrangers,
ce ne serait pas interdit dans les faits, puisque les mesures d'incitation
aux investisseurs étrangers ne seraient pas couvertes par l'AMI.
Un autre élément controversé de l'AMI est que les
gouvernements seraient également tenus par le traitement national
pour ce qui est des exigences fonctionnelles. La première version
n'autorisait pas les gouvernements à imposer aux investisseurs étrangers,
par exemple, d'employer un nombre minimum de personnel local, de faire
appel à des fournisseurs locaux, de s'associer avec des partenaires
locaux, de transférer des technologies ou de respecter un niveau
donné de recherche et développement. Face aux pressions,
les négociateurs ont retiré des exigences fonctionnelles
ce qui a trait aux niveaux d'emploi, à la production, l'investissement
et les ventes. Le revers de la médaille des exigences fonctionnelles
porte sur la discrimination en faveur des entreprises locale, le principe
du traitement national interdisant aux gouvernements d'octroyer uniquement
aux investisseurs locaux des aides à la création d'emplois,
à la formation, la recherche et le développement, au développement
régional, etc. Une fois encore, il y a matière à controverse
car on suppose (sans en avoir la certitude) que l'AMI ne peut pas interdire
les exigences fonctionnelles indépendantes des échanges imposées
en contrepartie d'aides de l'Etat.
Les principes du traitement national et de la nation la plus favorisée
s'appliqueraient explicitement (dans la version actuelle) à la privatisation
et aux transactions ultérieures portant sur des avoirs privatisés.
Tout aussi sujet à controverse, le libellé actuel interdirait
les montages d'actionnariat tels que noyau dur ou exclusivité de
rachat au personnel ou, en échange, laisserait aux gouvernements
un certain droit de regard sur les modalités de la privatisation.
Lorsque les entreprises publiques restent en place, le texte proposé
(pas accepté) interdit aux monopoles le contre-subventionnement
destiné à soutenir artificiellement des services qui concurrencent
d'autres prestataires et leur impose d'agir "exclusivement conformément
à la logique commerciale" pour la vente ou l'achat de biens
ou de services monopolistiques.
Un autre élément essentiel de l'AMI est le projet de règlement
des litiges en cas de problèmes qui se poseraient aux investisseurs.
L'AMI permettra d'imposer des formules de règlement, non seulement
entre pays de départ et pays hôte, mais surtout (et cela dépasse
le mandat de l'OMC) entre l'investisseur et le pays hôte. Par contre,
il n'y a aucune réciprocité et ni les pouvoirs publics ni
la société civile en général ne peuvent soumettre
les investisseurs à une procédure de règlement (voir
plus loin pour les questions relatives au travail et à l'environnement).
Les modalités de fonctionnement sont tout aussi préoccupantes.
Dans la pratique, cela veut dire que, si un investisseur croit que les
"mesures" (définies plus haut) d'un pays où il
a investi - même s'il n'en est qu'à la phase préalable
de l'investissement - violent les dispositions de l'AMI, il pourra demander
au pays de départ et au pays hôte de trouver une solution,
que ce soit par la consultation ou par le recours à une juridiction
locale, ou encore en faisant appel à un "panel" indépendant
qui serait composé de représentants de pays membres de l'AMI.
Par ailleurs, l'investisseur aurait lui aussi le droit de se pourvoir devant
le panel contre un gouvernement. De plus, s'il s'avérait qu'un pays
est en contravention avec les dispositions de l'AMI, il pourrait être
tenu de modifier ses textes législatifs, réglementaires ou
administratifs sous peine d'une amende non définie.
Les gouvernements de l'OCDE auraient dû se rendre compte dès
le départ que les dispositions de l'AMI prêteraient à
controverse. Mais, sauf dans quelques pays, le débat public qui
aurait dû accompagner les négociations a été
occulté. La faute en est surtout aux gouvernements de l'OCDE eux-mêmes
qui ont cru qu'une petite bande d'experts en investissement pourraient
concocter un instrument de libéralisation ambitieux à l'abri
des regards du public puis le faire accepter au monde extérieur
par la communication. Cette stratégie a largement échoué
et soulevé une opposition croissante à l'AMI dans beaucoup
de pays, comme en témoigne cette déclaration : "le but
de l'AMI n'est pas de réglementer les investissements mais de réglementer
les gouvernements. En tant que tel, l'AMI est inacceptable."(4) L'OCDE
elle-même a finalement admis que "Comme pour tous les accords
internationaux contraignants, celui-ci va dans une certaine mesure limiter
l'exercice des prérogatives nationales..."(5)
La réplique à l'AMI : la TUAC et ses affiliés
Dès le départ, la TUAC a affirmé que, pour que
l'AMI soit un accord multilatéral équilibré, il faut
qu'il accorde les mêmes droits en matière de protection des
travailleurs et de l'environnement que ceux accordés aux investisseurs
et à leurs investissements. Sinon, on courra le risque d'un mouvement
populaire de rejet de la mondialisation, et en particulier de l'AMI. La
campagne menée pour que soient incluses dans l'AMI des normes crédibles
de travail et d'environnement fut longue et elle n'a toujours pas débouché
sur une solution satisfaisante pour les syndicats comme pour les groupes
écologistes.
La TUAC a adopté une approche double de l'AMI pendant les négociations.
Le Secrétariat était chargé d'obtenir un "traitement
satisfaisant" pour les travailleurs comme pour l'environnement. Il
s'agit notamment d'obtenir une clause contraignante qui permette d'introduire
un recours contre tout gouvernement qui voudrait attirer les investisseurs
en revoyant ses normes du travail à la baisse ou en violant des
droits fondamentaux du travail reconnus internationalement. Le cahier de
revendications de la TUAC était le suivant :
1. une référence ferme dans le Préambule de l'AMI
par laquelle les gouvernements affirment leur soutien aux normes fondamentales
du travail ainsi qu'aux Principes directeurs de l'OCDE à l'intention
des entreprises multinationales;
2. annexer le texte intégral des Principes directeurs à
l'AMI et pas à l'Acte final;
3. la création de Points de contact nationaux pour l'application
des Principes directeurs qui doivent devenir un instrument légal
contraignant de l'Accord pour toutes les parties sans exception;
4. le libellé du texte stipulant que les non-membres qui adhèrent
à l'AMI adoptent automatiquement les Principes directeurs;
5. l'ajout, dans l'AMI, d'une clause contraignante soumise à
la procédure de règlement des litiges qui stipule que les
gouvernements ne peuvent chercher à attirer les investissements
en abaissant leurs normes du travail ou en violant des droits fondamentaux
du travail reconnus internationalement. Cette clause s'appliquerait aussi
aux normes d'environnement.
Au stade actuel, les gouvernements sont supposés avoir accepté
les points 1 et 2. Une majorité s'est dessinée en faveur
des points 3 et 4, mais l'Australie, la Corée, le Mexique et la
Nouvelle-Zélande y sont résolument hostiles. Au sein du groupe
de négociation, les optimistes pensent que cette résistance
devrait être surmontée à terme. Reste le point 5 sur
la clause contraignante. Ici, des progrès ont été
obtenus et la plupart des gouvernements y sont maintenant favorables. Mais
il y a des complications et une issue heureuse dépendrait en définitive
de la position américaine pour la raison suivante. En dehors de
la majorité favorable à une clause contraignante, l'Australie,
la Corée, le Mexique et la Nouvelle-Zélande forment une minorité
de blocage parce que des partenaires de poids, dont l'Allemagne, le Japon
et les Etats-Unis, préféreraient une clause facultative.
Or, si les Etats-Unis devaient basculer dans le camp de la clause contraignante,
il y a tout à croire que le Japon et l'Allemagne feraient de même.
Pour ce qui est de la position américaine, étant donné
que le Président Clinton n'a pu obtenir du Congrès une prorogation
de sa procédure accélérée, un vaste débat
s'est ouvert entre les départements concernés, ce qui pourrait
amener un revirement de la position de l'Administration Clinton qui conduirait
ses négociateurs à se ranger du côté de la clause
contraignante.
Pour sa part, la TUAC a invité ses affiliés à prendre
position vis-à-vis de leurs gouvernements et de l'AMI à la
lumière des débats sur les dérogations nationales
qui sont négociées. Syndicats américains et européens
divergent sur l'Accord, ce qui s'explique en partie par la teneur du débat
dans chacune de ces régions sur l'intégration économique
et la mondialisation.
En Amérique du Nord, le débat est conditionné par
l'expérience qu'ont les syndicats de l'Accord de libre-échange
nord-américain (ALENA) et par l'Accord de libre-échange des
Amériques (ALE). Les syndicats américains et canadiens ont
dénoncé les effets de ces accords sur l'intégration
économique, les systèmes de protection sociale et les normes
du travail. Cette expérience a conduit le Congrès du travail
du Canada à s'opposer à l'AMI dans son libellé actuel
parce que, entre autres, il remettrait en cause la possibilité pour
le Canada de maintenir ses services sociaux et non marchands et ses aides
à la culture canadienne. A l'AFL-CIO aussi, le débat est
en cours sur l'Accord.
D'autre part, la progression vers le Marché unique européen
s'est accompagnée d'un programme d'action sociale et, ce qui est
tout aussi important, d'un dialogue social qui recouvre un large éventail
de mesures sociales et économiques impliquant les organisations
syndicales. Par ce biais, les syndicats européens ont réclamé
davantage de contrôles multilatéraux ou régionaux,
par le truchement de la législation communautaire, par exemple.
C'est ainsi qu'ont été mis en place les mécanismes
d'un dialogue et un débat intégrateurs sur l'orientation
de l'intégration économique européenne.
L'évolution : Une libéralisation restreinte ?
A l'ordre du jour de l'AMI se pose maintenant la question des réserves
ou dérogations nationales(6) à l'Accord. On avait proposé
au départ que l'AMI ne permette que quelques dérogations,
soit au niveau général (les fameux créneaux réservés),
soit au niveau national. Les dérogations générales
devaient se limiter aux mesures visant à préserver la sécurité
nationale, y compris l'ordre public, mettre en oeuvre des politiques monétaires
ou des politiques de change (y compris les mesures temporaires approuvées
par le FMI en cas de difficultés au niveau de la balance des paiements)
et les règles de discipline financière. Cependant, une dérogation
générale s'applique maintenant à la fiscalité
et à la sécurité sociale et le débat fait rage
sur la proposition française d'une dérogation généralisée
pour les industries de la culture.
Pourtant, c'est l'évolution au niveau des dérogations
nationales applicables à des secteurs et activités économiques
spécifiques qui pourrait bloquer les tendances à la libéralisation
de l'AMI. Dans l'optique d'un AMI descendant, on avait d'abord prévu
un nombre limité de dérogations nationales assorties de procédures
"conservatoires" et de "libéralisation ultérieure".
Aux termes des premières, le gouvernement qui signe l'accord ne
pourrait plus ajouter de nouvelles dérogations à celles déjà
déclarées, ni promulguer de nouveaux textes légaux
ou réglementaires qui s'en écarteraient. Les deuxièmes
auraient pour effet de bloquer la libéralisation, étant donné
que les dérogations seraient alors négociées bien
plus tard.
Ce concept extrêmement restrictif a eu pour effet d'amener les
gouvernements à déposer, en février 1997, un total
de 600 pages de dérogations nationales. Non contents de viser tous
les grands secteurs de l'activité économique, plusieurs pays
demandèrent aussi des dérogations pour l'ensemble des activités
relevant des Etats ou des provinces. L'un d'eux réclama même
une dérogation de la procédure permettant à un investisseur
de recourir à la procédure de règlement en cas de
litige ! Le président du groupe de négociation réagit
en demandant de refaire les listes mais, plutôt que de déposer
des listes plus courtes, des gouvernements de grands pays réclamèrent
une nouvelle catégorie de dérogation non limitative. On aurait
alors eu deux types de dérogation nationale. D'une part, certaines
seraient soumises aux mesures "conservatoires" et de "libéralisation
ultérieure" tandis que, par d'autres, les gouvernements auraient
été définitivement dispensés, maintenant comme
plus tard, de demander des dérogations portant sur un secteur ou
une activité économique échappant aux mesures "conservatoires"
ou de "libéralisation ultérieure". Quoique certains
gouvernements y soient opposés, on envisage actuellement les moyens
d'instaurer un mécanisme restrictif qui ferait que toutes les dérogations
ne soient pas reprises dans la deuxième catégorie. Il ne
faut pas sous-estimer l'impact d'une telle mesure qui empêcherait
que l'AMI devienne un Accord descendant rigide.
Les prochaines étapes : Pierres d'achoppement, ratification
et mise en oeuvre
Les négociateurs de l'AMI vont maintenant s'efforcer de conclure
avant l'échéance du Conseil des ministres de l'OCDE des 27-28
avril 1998. En plus des réunions normales du groupe de négociation,
des discussions bilatérales informelles auront lieu dans toutes
les capitales. La question est de savoir si on peut escompter un consensus
suffisant pour arriver à un Accord acceptable pour les ministres
ou si on devra se contenter d'une coquille vide ou si les francs-tireurs
seront suffisamment forts pour le faire reporter ou mettre aux oubliettes
de l'OCDE en attendant de le voir réapparaître plus tard à
l'OMC. L'aboutissement ou l'échec de l'AMI dépend d'une série
de facteurs.
En premier lieu, le projet de clause sur les boycotts secondaires. Le
projet de texte actuel a été préparé par l'Union
européenne après une première proposition du Canada.
Le but est d'interdire aux parties à l'Accord (à tous les
niveaux de l'administration) d'imposer des obligations aux investisseurs
ou des sanctions aux investisseurs étrangers du fait de leurs investissements
dans un pays tiers. S'il se concrétisait, il reviendrait à
interdire des mesures comme la loi Helms Burton qui permet au gouvernement
américain de fermer son territoire à des investisseurs d'autres
pays qui ont des liens avec Cuba, voire de confisquer leurs actifs. Mais
elle pourrait aussi interdire des lois comme celle adoptée par l'Etat
du Massachussetts par laquelle les entreprises qui investissent en Birmanie
ne peuvent soumissionner pour des marchés publics. La question est
tellement disputée qu'elle a été retirée de
l'ordre du jour du groupe de négociation tandis qu'était
entamé un dialogue politique entre l'UE et l'Administration américaine.
Deuxièmement, beaucoup de gouvernements non-européens
restent hostiles à l'ajout dans l'AMI d'une clause d'organisation
d'intégration économique régionale (OIER). Cette clause
OIER, qui a été proposée par l'UE, aurait pour effet
de dispenser les pays signataires membres de l'UE d'appliquer le principe
de la nation la plus favorisée aux multinationales de l'UE ou ayant
des activités dans l'UE. Il s'agit d'un mécanisme analogue
à la clause du GATT qui autorise les pays de l'UE à imposer
à l'extérieur des droits de douane supérieurs à
ceux pratiqués pour les échanges intracommunautaires. Les
pays extérieurs à l'UE s'y opposent parce qu'elle autoriserait
de la part des pays de l'UE des pratiques discriminatoires à l'encontre
des multinationales extérieures à l'UE.
Troisièmement, pour bien des gouvernements, le fait d'exclure
de l'AMI la liste non limitative de dérogations nationales (décrite
plus haut) constituerait une pierre d'achoppement. Avec les pressions qui
se sont manifestées, de la part des administrations locales et régionales
notamment, en faveur d'une telle mesure de sauvegarde, il est peu probable
que les parlements nationaux y souscrivent. En revanche, les gouvernements
qui voudraient que l'AMI reste un Accord de libéralisation "pure"
sont opposés à tout affaiblissement de ses clauses.
Quatrièmement, la question du créneau réservé
aux matières relevant de la culture et des industries de la culture,
comme les industries cinématographiques nationales par exemple,
est devenue une pierre d'achoppement pour certains pays. Le Canada et la
France seraient les premiers partisans d'une clause de cette sorte qui
leur permettrait de protéger leurs industries de l'audiovisuel et
leur langue d'une domination anglo-saxonne omniprésente.
Des compromis ont été proposés et certains ont
été mis en rapport avec d'autres. Quelle que puisse être
l'issue des négociations sur les autres pierres d'achoppement, la
principale reste la clause sur les boycotts secondaires.
Si un accord devait se dégager, l'attention se portera alors
sur la ratification et la mise en application. On a proposé que
les ministres de l'OCDE et ceux de pays non membres de l'OCDE et désireux
de souscrire à l'Accord signent l'Acte final à Paris en avril
1998, pendant le Conseil des ministres de l'OCDE. Cela n'aurait pas d'effet
contraignant sur ces gouvernements et cela ne voudrait pas dire non plus
que l'AMI entrerait en vigueur le jour même. Il faudra pour cela
attendre sa ratification par un nombre suffisant de pays et aussi que ces
pays se soient rencontrés pour se mettre d'accord sur une date d'entrée
en vigueur.
Il est un fait que les gouvernements ne pourront pas amender l'AMI à
l'occasion du débat devant leurs parlements nationaux. Le texte
est à prendre tel quel, ce qui explique qu'il est vital que les
organisations syndicales et autres groupes progressistes doivent faire
pression pour que leurs revendications soient prises en compte avant le
Conseil de l'OCDE d'avril 1998. Des amendements ne seront plus possibles
que lorsque l'AMI sera entré en vigueur et que toutes les parties
seront d'accord. C'est pourquoi la transparence s'impose quant aux types
de dérogations nationales que chaque gouvernement demandera, vu
que ce sera le seul point susceptible d'être négocié.
C'est aussi pour cette raison que beaucoup de gouvernements voulaient une
liste non limitative de dérogations.
De même, il est essentiel que, pendant la procédure de
ratification, le débat qu'aura chaque pays sur l'AMI soit public,
qu'il aille au fond des choses et que rien ne soit dissimulé. En
effet, dès qu'un pays aura ratifié l'Accord et que celui-ci
sera entré en vigueur, tous les investissements du moment tomberont
sous le coup de l'AMI pour 15 ans, même si le pays en question devait
se retirer. De plus, chaque partie ne pouvant dénoncer l'Accord
avant une période de cinq ans, il serait en fait lié par
l'AMI pour 20 ans.
Notes :
(1) TUAC est l'acronyme anglais de la Commission syndicale consultative
près de l'OCDE. Elle représente 70 millions de travailleurs
de 55 centrales syndicales nationales affiliées dans les 29 pays
de l'OCDE. Vous pouvez obtenir de plus amples renseignements sur les activités
du TUAC, ainsi que sur l'AMI, en consultant son site Internet : http:/www.tuac.org
(2) Werner Stumpfe, président de Gesamtmetall, Financial Times,
21 août 1996.
(3) Contribution du TUAC à la Revue de l'OCDE (1996) sur les
Points de contact nationaux. Chaque membre de l'OCDE est tenu d'ouvrir
un Point de contact national chargé des questions touchant aux Principes
directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales.
La plupart des centrales syndicales nationales ont fortement critiqué
ces Points de contact, l'inertie des gouvernements et le non-respect par
les multinationales des Principes directeurs de l'OCDE à l'intention
des entreprises multinationales.
(4) Déclaration commune des ONG à la suite des consultations
informelles du 27 octobre 1997 entre le groupe de négociation de
l'AMI et les 22 groupes d'ONG. Il faut préciser que les ONG n'ont
pas le même point de vue sur l'AMI. Bien que beaucoup s'y opposent
résolument, certaines ont accepté le principe, à condition
qu'un équilibre soit respecté entre les droits des investisseurs,
des collectivités, des travailleurs et de leur environnement.
(5) Compte rendu de politique de l'OCDE sur l'AMI - numéro 2
- 1997.
(6) Les termes réserve et dérogation sont utilisés
indifféremment par le groupe de négociation dans le même
sens. Dans le présent rapport, nous utiliserons le terme dérogation
au sens des secteurs ou activités qui échappent à
l'AMI.