TRADE UNION STATEMENT

 

 



Texte en français

L'Accord multilatéral sur l'investissement de l'OCDE

Concepts fondamentaux et Réponse des Syndicats

Document de Travail

Roy Jones

Premier Conseiller politique - TUAC (1)- OCDE

Janvier 1998


Résumé

Les négociations en vue de la signature d'un Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) entre les gouvernements des pays de l'OCDE approchent de l'échéance d'avril 1998. Conçu pour faciliter et élargir l'investissement international en se fondant sur un concept de non-discrimination entre investisseurs nationaux et étrangers, l'AMI aurait pour résultat une extension de la mondialisation économique aux pays développés comme aux pays en voie de développement. Par ailleurs, les multinationales pourraient forcer des gouvernements à changer des textes de loi qui ne se conformeraient pas à l'AMI sous peine de pénalités. Les pressions des syndicats et des ONG, ainsi qu'une prise de conscience croissante chez certains gouvernements des dangers que comportait le projet de départ de l'AMI ont contraint à amender son texte. En revanche, il y aurait maintenant plus de chances d'obtenir que des règles contraignantes en matière de protection du travail et de l'environnement soient ajoutées à l'Accord.

Le but du présent document de travail est d'élargir le débat, de jeter la lumière sur l'AMI et le démystifier en soulignant les points qui prêtent à controverse et d'insister sur ce qui a été fait par les syndicats et par d'autres pour s'assurer que les problèmes d'emploi et d'environnement soient dûment pris en compte dans l'Accord. Après un rapide bilan des conséquences de la mondialisation pour les travailleurs, nous parlerons de la genèse de l'AMI avant de cerner ses concepts fondateurs et d'exposer les controverses qu'ils suscitent. Nous énoncerons ensuite la réponse des syndicats avant de donner la synthèse des derniers événements. Enfin, le rapport se penche sur les questions qui pourraient faire aboutir ou trébucher l'AMI ainsi que sur les mécanismes de mise en oeuvre et de ratification.

Historique - Mondialisation et normes du travail

La mondialisation, c'est-à-dire l'intégration accélérée de l'activité économique au-delà des frontières nationales et régionales, est devenue le leitmotiv du débat économique et social de la fin du vingtième siècle. Quoique le commerce international conserve un rôle majeur dans le processus de la mondialisation, c'est l'investissement étranger direct (IED) contrôlé par les multinationales qui est devenu le moteur de la mondialisation. Au cours des dix dernières années, l'IED a crû quatre fois plus vite que le PIB et trois fois plus vite que le volume des échanges. Le nombre des multinationales est passé de 7.000 au début des années quatre-vingt-dix à près de 40.000 aujourd'hui. Cependant, ces multinationales ont peu en commun, que ce soit par la taille ou par leur ancrage sectoriel. Pour ce qui est de la taille, même si les petites et moyennes entreprises sont plus nombreuses parmi les multinationales, on constate une concentration et une monopolisation qui fait que un pour cent des entreprises représentent la moitié du volume total de l'IED. Quant à l'ancrage sectoriel, l'IED dans les services est maintenant supérieur à celui du secteur manufacturier.

Les liens entre commerce et investissement sont d'une complexité telle que les multinationales sont devenues les principaux acteurs du développement des échanges dont, à titre d'exemple, un tiers se font à l'intérieur d'une même multinationale et un tiers entre multinationales.

Les multinationales sont donc présentes dans la vie de presque tous les travailleurs, directement ou indirectement par des mécanismes complexes de sous-traitance et d'externalisation. Aujourd'hui, la privatisation implique souvent un transfert de propriété dans des mains étrangères. Le tout couronné par les organisations internationales qui contrôlent les marchés financiers, fixant ou influençant des taux d'intérêt qui, en définitive, conditionnent l'évolution des économies.

Il est exact que les multinationales peuvent être bénéfiques sur le plan économique et social; nul ne le conteste. Mais il est tout aussi vrai qu'elles peuvent avoir un impact négatif sur les conditions des travailleurs et qu'elle peuvent influencer positivement ou négativement l'évolution d'un pays. Le dernier numéro de International Unions Rights attirait à juste titre l'attention sur l'impact des multinationales sur les travailleurs. En résumé, il suggérait que la mobilité des capitaux (et, surtout, leur mobilité potentielle) a fait basculer l'équilibre du pouvoir au détriment des Etats et des travailleurs et au profit de ceux qui détiennent le capital, lesquels ont fait pression sur les gouvernements pour qu'ils aillent plus loin dans l'abaissement de l'imposition du capital, la libéralisation du marché et la commercialisation des services publics, la déréglementation du marché du travail et la privatisation.

Pour les travailleurs et les syndicats, cette possibilité de "sortir" et de délocaliser ses activités a eu une influence sur le processus de négociation. Comme le disait le président de la plus grande fédération patronale de la construction mécanique et du secteur électrique d'Allemagne en évoquant la force des employeurs : "Aujourd'hui, ils disent ne plus vouloir de cet accord parce qu'ils ont quatre ou cinq voies de sortie. Il leur suffit de relocaliser 10.000 emplois en République tchèque ou d'externaliser."(2) C'est ce que confirma en 1996 une enquête de la TUAC auprès de ses affiliés sur le respect des Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales et qui constatait que les multinationales recourent de plus en plus à la menace de la délocalisation pour influencer l'issue de la négociation collective, qu'elles retiennent des informations pour défavoriser les syndicats pendant la négociation et qu'elles foulent parfois au pied les droits des syndicats, allant jusqu'à couper tout lien, tout en sapant les normes d'environnement, d'hygiène et de sécurité.(3)

Le débat sur la mondialisation et l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI)

Avec l'AMI que négocie l'OCDE, on entre de plain pied dans le débat sur la mondialisation. Le concept de base de cet Accord est simple : à travers les principes du traitement national et de la nation la plus favorisée, les gouvernements des pays membres doivent traiter les investisseurs étrangers sur un pied d'égalité avec leurs nationaux. Ainsi, les gouvernements pourraient toujours appliquer des politiques de nature à renforcer la législation sociale et environnementale, pour autant que ces politiques ne soient pas plus rigoureuses pour les investisseurs étrangers que pour ceux du pays. En revanche, les investisseurs étrangers auraient un recours légal contre les gouvernements ou les administrations locales qui enfreindraient ces principes de non-discrimination. Or, comme nous allons le voir, ces principes, de même que d'autres éléments du projet d'AMI, pourraient avoir des conséquences très profondes dans certains pays où l'AMI est au centre d'une controverse.

Avant l'ouverture des négociations de l'AMI, lors du Conseil des ministres de mai 1995, le Comité de l'investissement international et des entreprises multinationales (CIME) de l'OCDE avait procédé à une étude de faisabilité de quatre ans sur ce que pourrait contenir un éventuel accord. En parallèle allait s'ouvrir un débat sur la question de savoir qui, de l'OMC ou l'OCDE, était compétente en la matière. Les pays industrialisés optèrent pour l'OCDE, pensant que les pays membres de l'OMC mais extérieurs à l'OCDE s'opposeraient sans doute au programme de libéralisation proposé pour l'AMI par les gouvernements du G7, un peu comme ils l'avaient fait pendant le cycle de l'Uruguay de négociations sur la libéralisation des échanges. Or, une fois négocié au niveau de l'OCDE, les pays qui ne sont pas membres de l'OCDE pourraient toujours négocier leur adhésion à l'AMI. Cette stratégie donnerait ainsi un traité de référence pour des négociations ultérieures à l'OMC.

Le Conseil des ministres de mai 1995 accepta les conclusions de l'étude de faisabilité, lesquelles laissaient aux négociateurs un programme très vaste sur base duquel ils disposaient de deux ans pour mener l'AMI à terme. Cependant, l'échéance de mai 1997 péchait par optimisme et les ministres de l'OCDE prorogèrent les négociations de douze mois. En réalité, comme nous allons le voir, il se pourrait encore que l'AMI ne soit pas au rendez-vous. Pour en comprendre la raison, il faut analyser le contenu du projet et faire le point sur l'état des négociations.

Concepts fondamentaux de l'AMI

Au départ, les négociateurs voulaient se mettre d'accord sur un traité contraignant suivant une approche descendante, lequel couvrirait tous les secteurs de l'économie et irait bien au-delà des 1.630 traités bilatéraux sur l'investissement (TBI) actuellement en vigueur. Le concept de l'accord descendant a son importance étant donné que, dans les faits, tous les secteurs qui n'étaient pas explicitement exclus ou qui ne bénéficiaient pas d'une dérogation au niveau national tomberaient sous le coup de l'Accord. Ce principe s'écarte résolument du processus de l'OMC où seuls les secteurs mentionnés dans un accord relèvent de celui-ci.

La définition de l'investissement ne suscite aucune contestation, quoiqu'elle soit la plus large jamais donnée puisqu'elle englobe les actions et obligations (et assimilés), l'immobilier, en plus de l'investissement direct. L'AMI prévoira aussi des garanties pour l'investissement proprement dit et pour la démarche d'investissement. En cela, il va plus loin que la plupart des TBI qui se limitent à protéger les investissements qui se sont concrétisés. Ses détracteurs craignent que les gouvernements en soient encore plus incités à libéraliser leur réglementation intérieure dans des domaines essentiels afin de désamorcer la menace d'un recours légal de la part de multinationales voulant s'implanter sur leurs marchés. Pour ce qui est de la couverture, les "mesures" englobant les lois, les règlements et les pratiques administratives doivent porter sur tous les niveaux de l'administration : centrale, fédérale, locale, Etats et provinces. Ce point prête à controverse et certains gouvernements font l'objet de pressions pour qu'ils exemptent les niveaux infranationaux de l'administration. Ainsi, le fait que le Canada soit un Etat fédéral où bien des politiques sont mises en oeuvre au niveau infranational, dans les domaines du social, de l'environnement, de la santé et des services sociaux, par exemple, a incité le gouvernement de la Colombie-Britannique à signifier officiellement son opposition à l'AMI.

Comme nous l'avons vu, le concept fondateur de l'AMI est la non-discrimination entre les investisseurs nationaux et leurs investissements et les investisseurs étrangers. C'est ce qu'il est convenu d'appeler le principe du traitement national. En parallèle, le principe de la nation la plus favorisée signifie que, lorsqu'un pays a accordé un traitement donné à un investisseur ou un investissement étranger, il ne peut réserver un traitement moins favorable à aucun autre investisseur ou investissement. Ces deux principes s'appliquent avant et après qu'un investissement soit réalisé, c'est-à-dire lors de "l'établissement, l'acquisition, le développement de l'activité, la gestion, la maintenance, l'utilisation, la jouissance et la vente et la liquidation de l'investissement." Les partisans de l'AMI font valoir qu'il s'agit seulement de placer les investisseurs nationaux et étrangers dans des conditions identiques. Ses détracteurs affirment que ces mesures, ajoutées aux garanties légales offertes aux investisseurs et à leurs investissements auraient pour effet de donner aux multinationales un moyen de pression considérable sur les gouvernements. De plus, quoique les gouvernements n'aient pas l'obligation d'accorder un traitement plus favorable aux investisseurs étrangers, ce ne serait pas interdit dans les faits, puisque les mesures d'incitation aux investisseurs étrangers ne seraient pas couvertes par l'AMI.

Un autre élément controversé de l'AMI est que les gouvernements seraient également tenus par le traitement national pour ce qui est des exigences fonctionnelles. La première version n'autorisait pas les gouvernements à imposer aux investisseurs étrangers, par exemple, d'employer un nombre minimum de personnel local, de faire appel à des fournisseurs locaux, de s'associer avec des partenaires locaux, de transférer des technologies ou de respecter un niveau donné de recherche et développement. Face aux pressions, les négociateurs ont retiré des exigences fonctionnelles ce qui a trait aux niveaux d'emploi, à la production, l'investissement et les ventes. Le revers de la médaille des exigences fonctionnelles porte sur la discrimination en faveur des entreprises locale, le principe du traitement national interdisant aux gouvernements d'octroyer uniquement aux investisseurs locaux des aides à la création d'emplois, à la formation, la recherche et le développement, au développement régional, etc. Une fois encore, il y a matière à controverse car on suppose (sans en avoir la certitude) que l'AMI ne peut pas interdire les exigences fonctionnelles indépendantes des échanges imposées en contrepartie d'aides de l'Etat.

Les principes du traitement national et de la nation la plus favorisée s'appliqueraient explicitement (dans la version actuelle) à la privatisation et aux transactions ultérieures portant sur des avoirs privatisés. Tout aussi sujet à controverse, le libellé actuel interdirait les montages d'actionnariat tels que noyau dur ou exclusivité de rachat au personnel ou, en échange, laisserait aux gouvernements un certain droit de regard sur les modalités de la privatisation. Lorsque les entreprises publiques restent en place, le texte proposé (pas accepté) interdit aux monopoles le contre-subventionnement destiné à soutenir artificiellement des services qui concurrencent d'autres prestataires et leur impose d'agir "exclusivement conformément à la logique commerciale" pour la vente ou l'achat de biens ou de services monopolistiques.

Un autre élément essentiel de l'AMI est le projet de règlement des litiges en cas de problèmes qui se poseraient aux investisseurs. L'AMI permettra d'imposer des formules de règlement, non seulement entre pays de départ et pays hôte, mais surtout (et cela dépasse le mandat de l'OMC) entre l'investisseur et le pays hôte. Par contre, il n'y a aucune réciprocité et ni les pouvoirs publics ni la société civile en général ne peuvent soumettre les investisseurs à une procédure de règlement (voir plus loin pour les questions relatives au travail et à l'environnement). Les modalités de fonctionnement sont tout aussi préoccupantes. Dans la pratique, cela veut dire que, si un investisseur croit que les "mesures" (définies plus haut) d'un pays où il a investi - même s'il n'en est qu'à la phase préalable de l'investissement - violent les dispositions de l'AMI, il pourra demander au pays de départ et au pays hôte de trouver une solution, que ce soit par la consultation ou par le recours à une juridiction locale, ou encore en faisant appel à un "panel" indépendant qui serait composé de représentants de pays membres de l'AMI. Par ailleurs, l'investisseur aurait lui aussi le droit de se pourvoir devant le panel contre un gouvernement. De plus, s'il s'avérait qu'un pays est en contravention avec les dispositions de l'AMI, il pourrait être tenu de modifier ses textes législatifs, réglementaires ou administratifs sous peine d'une amende non définie.

Les gouvernements de l'OCDE auraient dû se rendre compte dès le départ que les dispositions de l'AMI prêteraient à controverse. Mais, sauf dans quelques pays, le débat public qui aurait dû accompagner les négociations a été occulté. La faute en est surtout aux gouvernements de l'OCDE eux-mêmes qui ont cru qu'une petite bande d'experts en investissement pourraient concocter un instrument de libéralisation ambitieux à l'abri des regards du public puis le faire accepter au monde extérieur par la communication. Cette stratégie a largement échoué et soulevé une opposition croissante à l'AMI dans beaucoup de pays, comme en témoigne cette déclaration : "le but de l'AMI n'est pas de réglementer les investissements mais de réglementer les gouvernements. En tant que tel, l'AMI est inacceptable."(4) L'OCDE elle-même a finalement admis que "Comme pour tous les accords internationaux contraignants, celui-ci va dans une certaine mesure limiter l'exercice des prérogatives nationales..."(5)

La réplique à l'AMI : la TUAC et ses affiliés

Dès le départ, la TUAC a affirmé que, pour que l'AMI soit un accord multilatéral équilibré, il faut qu'il accorde les mêmes droits en matière de protection des travailleurs et de l'environnement que ceux accordés aux investisseurs et à leurs investissements. Sinon, on courra le risque d'un mouvement populaire de rejet de la mondialisation, et en particulier de l'AMI. La campagne menée pour que soient incluses dans l'AMI des normes crédibles de travail et d'environnement fut longue et elle n'a toujours pas débouché sur une solution satisfaisante pour les syndicats comme pour les groupes écologistes.

La TUAC a adopté une approche double de l'AMI pendant les négociations. Le Secrétariat était chargé d'obtenir un "traitement satisfaisant" pour les travailleurs comme pour l'environnement. Il s'agit notamment d'obtenir une clause contraignante qui permette d'introduire un recours contre tout gouvernement qui voudrait attirer les investisseurs en revoyant ses normes du travail à la baisse ou en violant des droits fondamentaux du travail reconnus internationalement. Le cahier de revendications de la TUAC était le suivant :

1. une référence ferme dans le Préambule de l'AMI par laquelle les gouvernements affirment leur soutien aux normes fondamentales du travail ainsi qu'aux Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales;

2. annexer le texte intégral des Principes directeurs à l'AMI et pas à l'Acte final;

3. la création de Points de contact nationaux pour l'application des Principes directeurs qui doivent devenir un instrument légal contraignant de l'Accord pour toutes les parties sans exception;

4. le libellé du texte stipulant que les non-membres qui adhèrent à l'AMI adoptent automatiquement les Principes directeurs;

5. l'ajout, dans l'AMI, d'une clause contraignante soumise à la procédure de règlement des litiges qui stipule que les gouvernements ne peuvent chercher à attirer les investissements en abaissant leurs normes du travail ou en violant des droits fondamentaux du travail reconnus internationalement. Cette clause s'appliquerait aussi aux normes d'environnement.

Au stade actuel, les gouvernements sont supposés avoir accepté les points 1 et 2. Une majorité s'est dessinée en faveur des points 3 et 4, mais l'Australie, la Corée, le Mexique et la Nouvelle-Zélande y sont résolument hostiles. Au sein du groupe de négociation, les optimistes pensent que cette résistance devrait être surmontée à terme. Reste le point 5 sur la clause contraignante. Ici, des progrès ont été obtenus et la plupart des gouvernements y sont maintenant favorables. Mais il y a des complications et une issue heureuse dépendrait en définitive de la position américaine pour la raison suivante. En dehors de la majorité favorable à une clause contraignante, l'Australie, la Corée, le Mexique et la Nouvelle-Zélande forment une minorité de blocage parce que des partenaires de poids, dont l'Allemagne, le Japon et les Etats-Unis, préféreraient une clause facultative. Or, si les Etats-Unis devaient basculer dans le camp de la clause contraignante, il y a tout à croire que le Japon et l'Allemagne feraient de même. Pour ce qui est de la position américaine, étant donné que le Président Clinton n'a pu obtenir du Congrès une prorogation de sa procédure accélérée, un vaste débat s'est ouvert entre les départements concernés, ce qui pourrait amener un revirement de la position de l'Administration Clinton qui conduirait ses négociateurs à se ranger du côté de la clause contraignante.

Pour sa part, la TUAC a invité ses affiliés à prendre position vis-à-vis de leurs gouvernements et de l'AMI à la lumière des débats sur les dérogations nationales qui sont négociées. Syndicats américains et européens divergent sur l'Accord, ce qui s'explique en partie par la teneur du débat dans chacune de ces régions sur l'intégration économique et la mondialisation.

En Amérique du Nord, le débat est conditionné par l'expérience qu'ont les syndicats de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et par l'Accord de libre-échange des Amériques (ALE). Les syndicats américains et canadiens ont dénoncé les effets de ces accords sur l'intégration économique, les systèmes de protection sociale et les normes du travail. Cette expérience a conduit le Congrès du travail du Canada à s'opposer à l'AMI dans son libellé actuel parce que, entre autres, il remettrait en cause la possibilité pour le Canada de maintenir ses services sociaux et non marchands et ses aides à la culture canadienne. A l'AFL-CIO aussi, le débat est en cours sur l'Accord.

D'autre part, la progression vers le Marché unique européen s'est accompagnée d'un programme d'action sociale et, ce qui est tout aussi important, d'un dialogue social qui recouvre un large éventail de mesures sociales et économiques impliquant les organisations syndicales. Par ce biais, les syndicats européens ont réclamé davantage de contrôles multilatéraux ou régionaux, par le truchement de la législation communautaire, par exemple. C'est ainsi qu'ont été mis en place les mécanismes d'un dialogue et un débat intégrateurs sur l'orientation de l'intégration économique européenne.

L'évolution : Une libéralisation restreinte ?

A l'ordre du jour de l'AMI se pose maintenant la question des réserves ou dérogations nationales(6) à l'Accord. On avait proposé au départ que l'AMI ne permette que quelques dérogations, soit au niveau général (les fameux créneaux réservés), soit au niveau national. Les dérogations générales devaient se limiter aux mesures visant à préserver la sécurité nationale, y compris l'ordre public, mettre en oeuvre des politiques monétaires ou des politiques de change (y compris les mesures temporaires approuvées par le FMI en cas de difficultés au niveau de la balance des paiements) et les règles de discipline financière. Cependant, une dérogation générale s'applique maintenant à la fiscalité et à la sécurité sociale et le débat fait rage sur la proposition française d'une dérogation généralisée pour les industries de la culture.

Pourtant, c'est l'évolution au niveau des dérogations nationales applicables à des secteurs et activités économiques spécifiques qui pourrait bloquer les tendances à la libéralisation de l'AMI. Dans l'optique d'un AMI descendant, on avait d'abord prévu un nombre limité de dérogations nationales assorties de procédures "conservatoires" et de "libéralisation ultérieure". Aux termes des premières, le gouvernement qui signe l'accord ne pourrait plus ajouter de nouvelles dérogations à celles déjà déclarées, ni promulguer de nouveaux textes légaux ou réglementaires qui s'en écarteraient. Les deuxièmes auraient pour effet de bloquer la libéralisation, étant donné que les dérogations seraient alors négociées bien plus tard.

Ce concept extrêmement restrictif a eu pour effet d'amener les gouvernements à déposer, en février 1997, un total de 600 pages de dérogations nationales. Non contents de viser tous les grands secteurs de l'activité économique, plusieurs pays demandèrent aussi des dérogations pour l'ensemble des activités relevant des Etats ou des provinces. L'un d'eux réclama même une dérogation de la procédure permettant à un investisseur de recourir à la procédure de règlement en cas de litige ! Le président du groupe de négociation réagit en demandant de refaire les listes mais, plutôt que de déposer des listes plus courtes, des gouvernements de grands pays réclamèrent une nouvelle catégorie de dérogation non limitative. On aurait alors eu deux types de dérogation nationale. D'une part, certaines seraient soumises aux mesures "conservatoires" et de "libéralisation ultérieure" tandis que, par d'autres, les gouvernements auraient été définitivement dispensés, maintenant comme plus tard, de demander des dérogations portant sur un secteur ou une activité économique échappant aux mesures "conservatoires" ou de "libéralisation ultérieure". Quoique certains gouvernements y soient opposés, on envisage actuellement les moyens d'instaurer un mécanisme restrictif qui ferait que toutes les dérogations ne soient pas reprises dans la deuxième catégorie. Il ne faut pas sous-estimer l'impact d'une telle mesure qui empêcherait que l'AMI devienne un Accord descendant rigide.

Les prochaines étapes : Pierres d'achoppement, ratification et mise en oeuvre

Les négociateurs de l'AMI vont maintenant s'efforcer de conclure avant l'échéance du Conseil des ministres de l'OCDE des 27-28 avril 1998. En plus des réunions normales du groupe de négociation, des discussions bilatérales informelles auront lieu dans toutes les capitales. La question est de savoir si on peut escompter un consensus suffisant pour arriver à un Accord acceptable pour les ministres ou si on devra se contenter d'une coquille vide ou si les francs-tireurs seront suffisamment forts pour le faire reporter ou mettre aux oubliettes de l'OCDE en attendant de le voir réapparaître plus tard à l'OMC. L'aboutissement ou l'échec de l'AMI dépend d'une série de facteurs.

En premier lieu, le projet de clause sur les boycotts secondaires. Le projet de texte actuel a été préparé par l'Union européenne après une première proposition du Canada. Le but est d'interdire aux parties à l'Accord (à tous les niveaux de l'administration) d'imposer des obligations aux investisseurs ou des sanctions aux investisseurs étrangers du fait de leurs investissements dans un pays tiers. S'il se concrétisait, il reviendrait à interdire des mesures comme la loi Helms Burton qui permet au gouvernement américain de fermer son territoire à des investisseurs d'autres pays qui ont des liens avec Cuba, voire de confisquer leurs actifs. Mais elle pourrait aussi interdire des lois comme celle adoptée par l'Etat du Massachussetts par laquelle les entreprises qui investissent en Birmanie ne peuvent soumissionner pour des marchés publics. La question est tellement disputée qu'elle a été retirée de l'ordre du jour du groupe de négociation tandis qu'était entamé un dialogue politique entre l'UE et l'Administration américaine.

Deuxièmement, beaucoup de gouvernements non-européens restent hostiles à l'ajout dans l'AMI d'une clause d'organisation d'intégration économique régionale (OIER). Cette clause OIER, qui a été proposée par l'UE, aurait pour effet de dispenser les pays signataires membres de l'UE d'appliquer le principe de la nation la plus favorisée aux multinationales de l'UE ou ayant des activités dans l'UE. Il s'agit d'un mécanisme analogue à la clause du GATT qui autorise les pays de l'UE à imposer à l'extérieur des droits de douane supérieurs à ceux pratiqués pour les échanges intracommunautaires. Les pays extérieurs à l'UE s'y opposent parce qu'elle autoriserait de la part des pays de l'UE des pratiques discriminatoires à l'encontre des multinationales extérieures à l'UE.

Troisièmement, pour bien des gouvernements, le fait d'exclure de l'AMI la liste non limitative de dérogations nationales (décrite plus haut) constituerait une pierre d'achoppement. Avec les pressions qui se sont manifestées, de la part des administrations locales et régionales notamment, en faveur d'une telle mesure de sauvegarde, il est peu probable que les parlements nationaux y souscrivent. En revanche, les gouvernements qui voudraient que l'AMI reste un Accord de libéralisation "pure" sont opposés à tout affaiblissement de ses clauses.

Quatrièmement, la question du créneau réservé aux matières relevant de la culture et des industries de la culture, comme les industries cinématographiques nationales par exemple, est devenue une pierre d'achoppement pour certains pays. Le Canada et la France seraient les premiers partisans d'une clause de cette sorte qui leur permettrait de protéger leurs industries de l'audiovisuel et leur langue d'une domination anglo-saxonne omniprésente.

Des compromis ont été proposés et certains ont été mis en rapport avec d'autres. Quelle que puisse être l'issue des négociations sur les autres pierres d'achoppement, la principale reste la clause sur les boycotts secondaires.

Si un accord devait se dégager, l'attention se portera alors sur la ratification et la mise en application. On a proposé que les ministres de l'OCDE et ceux de pays non membres de l'OCDE et désireux de souscrire à l'Accord signent l'Acte final à Paris en avril 1998, pendant le Conseil des ministres de l'OCDE. Cela n'aurait pas d'effet contraignant sur ces gouvernements et cela ne voudrait pas dire non plus que l'AMI entrerait en vigueur le jour même. Il faudra pour cela attendre sa ratification par un nombre suffisant de pays et aussi que ces pays se soient rencontrés pour se mettre d'accord sur une date d'entrée en vigueur.

Il est un fait que les gouvernements ne pourront pas amender l'AMI à l'occasion du débat devant leurs parlements nationaux. Le texte est à prendre tel quel, ce qui explique qu'il est vital que les organisations syndicales et autres groupes progressistes doivent faire pression pour que leurs revendications soient prises en compte avant le Conseil de l'OCDE d'avril 1998. Des amendements ne seront plus possibles que lorsque l'AMI sera entré en vigueur et que toutes les parties seront d'accord. C'est pourquoi la transparence s'impose quant aux types de dérogations nationales que chaque gouvernement demandera, vu que ce sera le seul point susceptible d'être négocié. C'est aussi pour cette raison que beaucoup de gouvernements voulaient une liste non limitative de dérogations.

De même, il est essentiel que, pendant la procédure de ratification, le débat qu'aura chaque pays sur l'AMI soit public, qu'il aille au fond des choses et que rien ne soit dissimulé. En effet, dès qu'un pays aura ratifié l'Accord et que celui-ci sera entré en vigueur, tous les investissements du moment tomberont sous le coup de l'AMI pour 15 ans, même si le pays en question devait se retirer. De plus, chaque partie ne pouvant dénoncer l'Accord avant une période de cinq ans, il serait en fait lié par l'AMI pour 20 ans.

Notes :

(1) TUAC est l'acronyme anglais de la Commission syndicale consultative près de l'OCDE. Elle représente 70 millions de travailleurs de 55 centrales syndicales nationales affiliées dans les 29 pays de l'OCDE. Vous pouvez obtenir de plus amples renseignements sur les activités du TUAC, ainsi que sur l'AMI, en consultant son site Internet : http:/www.tuac.org

(2) Werner Stumpfe, président de Gesamtmetall, Financial Times, 21 août 1996.

(3) Contribution du TUAC à la Revue de l'OCDE (1996) sur les Points de contact nationaux. Chaque membre de l'OCDE est tenu d'ouvrir un Point de contact national chargé des questions touchant aux Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales. La plupart des centrales syndicales nationales ont fortement critiqué ces Points de contact, l'inertie des gouvernements et le non-respect par les multinationales des Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales.

(4) Déclaration commune des ONG à la suite des consultations informelles du 27 octobre 1997 entre le groupe de négociation de l'AMI et les 22 groupes d'ONG. Il faut préciser que les ONG n'ont pas le même point de vue sur l'AMI. Bien que beaucoup s'y opposent résolument, certaines ont accepté le principe, à condition qu'un équilibre soit respecté entre les droits des investisseurs, des collectivités, des travailleurs et de leur environnement.

(5) Compte rendu de politique de l'OCDE sur l'AMI - numéro 2 - 1997.

(6) Les termes réserve et dérogation sont utilisés indifféremment par le groupe de négociation dans le même sens. Dans le présent rapport, nous utiliserons le terme dérogation au sens des secteurs ou activités qui échappent à l'AMI.



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