1997 - MONDIALISATION, PRODUCTION DURABLE

 

 



English text

MONDIALISATION, PRODUCTION DURABLE
ET GESTION DE L'ENVIRONNEMENT :
LE ROLE DES SYNDICATS

DECLARATION DU TUAC A L'INTENTION
DES MINISTRES DE L'ENVIRONNEMENT
DES PAYS DE L'OCDE

Février 1996

Résumé introductif

  1. Les modes actuels de production et de consommation ne sont pas viables à long terme, et si les pays industrialisés ne pratiquent pas une concertation de plus grande ampleur pour éliminer les obstacles à l'utilisation rationnelle de l'environnement, la situation s'aggravera. La liste des problèmes d'environnement, liés à l'accroissement de la production et de la consommation, s'allonge. La pollution de l'air, de l'eau et des sols, constitue une perpétuelle menace pour notre fragile écosystème, rendant la vie difficilement supportable dans de nombreuses parties du monde. La pauvreté et le chômage augmentent, parallèlement à l'expansion démographique. L'environnement du travail en souffre également, et le nombre d'accidents, de blessures et de maladies professionnels s'accroît à un rythme inquiétant.
  2. Cette évolution doit aviver le sentiment d'urgente nécessité d'orienter les modes de production et de consommation sur une voie viable à long terme. Pourtant, dans de nombreux domaines l'action semble délimitée. Le ralentissement économique, le chômage, l'inégalité croissante des richesses, les pressions exercées par la compétitivité, loin de favoriser la protection de l'environnement rendent la réalisation de cet objectif plus difficile. L'impulsion donnée au changement retombe. Il incombe aux pays de l'OCDE de résoudre les problèmes qui font obstacle à la durabilité de la croissance économique et d'assumer leur rôle de gardiens de l'environnement. C'est le message le plus important à communiquer aux pays non membres de l'OCDE.
  3. Réaliser le plan d'action en faveur d'une croissance soutenable à long terme, réclame des pays de l'OCDE une approche politique de plus grande envergure, dépassant le contrôle et la lutte contre la pollution. Il importe en particulier que les mesures pour une croissance durable prennent en considération les conséquences sociales et les répercussions sur l'emploi du changement des modes de production et de consommation. Une stratégie commune en faveur de la stabilité de l'emploi est nécessaire en particulier, pour démontrer aux travailleurs que la production viable peut assurer ce "triple dividende" : croissance de l'emploi, protection de l'environnement, et création durable de richesses.

  4. Une réorientation des modes de production et de consommation pour assurer leur durabilité implique la participation active du grand public et une coopération plus étroite entre le secteur industriel, les syndicats, les Organisations Non Gouvernementales, et les gouvernements. Un nouveau "partenariat pour le changement" doit être mis en place. Les syndicats ont l'expérience et les connaissances du lieu de travail où, un soutien à l'action des employeurs et des gouvernements, peut leur permettre d'engager leurs effectifs dans des stratégies de production durable. Dans divers pays membres de l'OCDE, des exemples de bonne pratique apparaissent dans des conventions collectives et sont également donnés dans le cadre d'initiatives au niveau de l'entreprise. Mais les changements à opérer en matière de gestion et de protection de l'environnement doivent largement dépasser le cadre de ces entreprises "à bonne pratique" et s'étendre à l'ensemble des lieux de travail. Le mouvement syndical constitue une voie sans égal pour faire avancer le progrès dans ce domaine.
  5. Le Comité des Politiques d'Environnement de l'OCDE, réuni au niveau ministériel, doit donner une forte impulsion tant à la mise en Ïuvre des accords déjà conclus qu'à la réalisation d'initiatives ciblées sur une stratégie d'avant-garde pour des modes de production et de consommation durables. Il faudrait également que l'OCDE intensifie son rôle de catalyseur international en faveur du changement, et s'efforce d'élaborer ses propres instruments de nature contraignante. L'intégration accrue des instruments environnementaux et des politiques économiques et sociales, et le renforcement des partenariats pour le changement, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'entreprise, doivent être des objectifs centraux. Une stratégie de production et de consommation durables devrait être fondée sur cinq principes essentiels, à savoir :
  6. les normes fondamentales d'environnement et de travail ne doivent pas être affaiblies par les pressions qu'exerce la compétitivité dans le cadre des systèmes d'échanges et d'investissements mondiaux. Il faudrait que la réunion ministérielle de l'OCDE donne une indication claire à l'Organisation Mondiale du Commerce dans ce domaine et que les pays ratifient et mettent en Ïuvre les Accords Multilatéraux sur l'environnement (§ 6 à 8) ;
    les politiques de production et de consommation durables devraient être liées à une stratégie en faveur de la stabilité de l'emploi, qui porte les gains dans ce domaine à leur maximum, et minimise les coûts de l'action pour l'environnement. L'OCDE devrait entreprendre un examen thématique sur "la durabilité de l'emploi" (§ 9 à 14) ;
    les coûts sociaux et les profits relatifs à la protection et à la gestion de l'environnement, et en particulier l'utilisation d'instruments économiques, devraient être pleinement évalués, et tous effets négatifs en matière de répartition et d'emploi compensés sur une base équitable (§15 à 18) ;
    un nouveau "partenariat pour le changement" implique des stratégies pour la gestion de l'environnement sur le lieu de travail, avec la participation des travailleurs et de leurs représentants syndicaux fondée, pour être efficace, sur le "droit de savoir" et le "droit d'influencer" (§ 19 à 24) ; et
    toute stratégie pour l'environnement implique la complète intégration des questions de santé et de sécurité sur le lieu de travail, et la certitude qu'elles ne seront pas sapées par une déréglementation (§ 25 à 27).


Questions générales

  1. Les problèmes d'environnement d'une manière générale constituent déjà une grave menace pour la vie et la santé des futures générations. La couche d'ozone subit de graves détériorations et le Groupe Intergouvernemental sur le Changement Climatique a souligné dans ses récentes conclusions que l'alerte mondiale est une réalité. Les travaux de l'OCDE mettent en évidence la nécessité de lancer des actions préventives et de coordonner les politiques pour aborder les problèmes de pollution transfrontière et d'appauvrissement globale des ressources. Ce message est repris par d'autres organisations internationales responsables, comme la Commission sur le Développement Durable, le Programme des Nations Unies pour l'Environnement, et par le mouvement syndical international. Mais la concrétisation des accords de la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement et le Développement, et du Programme "Action 21" traîne en longueur et les syndicats observent avec inquiétude que l'impulsion politique nécessaire fait défaut. Un nouveau renforcement de la coopération internationale, et de nouveaux partenariats mondiaux entre pays industrialisés et pays du Sud, sont nécessaires.
  2. Si l'on considère l'intensité de la production industrielle et de la consommation dans le monde industrialisé, la responsabilité de la pollution mondiale et de l'exploitation des ressources revient en grande partie aux pays membres de l'OCDE. Il leur incombe par conséquent de bien gérer l'environnement, et de faire preuve d'une volonté plus délibérée d'aider les pays en développement à participer à la protection de l'environnement, et donc à ajuster les coûts engendrés dans les domaines économique, social, environnemental, et de la santé. Il sera impossible de promouvoir une production durable dans les pays non membres de l'OCDE si les objectifs fondamentaux de développement économique et social ne sont pas satisfaits. La pauvreté et la détérioration de l'environnement se renforcent mutuellement, d'où la nécessité pour les gouvernements des pays de l'OCDE de redoubler d'efforts afin de permettre aux pays en développement de combattre la pauvreté, la maladie et l'injustice sociale, et d'y intégrer l'objectif du développement durable dans le long terme.
  3. L'OCDE a le rôle capital d'assurer que dans toute législation, tant nationale que locale, soient intégralement introduits les accords multilatéraux sur l'environnement (AME) et les objectifs ciblés en matière de protection et d'échanges. Toute lacune dans l'application des accords et l'harmonisation des normes au niveau national ou régional entraîne des répercussions préjudiciables en termes de compétitivité, pour les économies comme pour les entreprises. Les pressions qu'exercent les échanges mondiaux et les investissements s'intensifient, d'où l'intérêt accru d'assurer le maintien des plus hautes normes de la zone OCDE en matière de gestion de l'environnement, et de faire en sorte qu'aucun avantage compétitif ne soit acquis au détriment de l'environnement. Dans la perspective de la Conférence de Singapour, l'OCDE devrait veiller à l'évolution de l'Organisation Mondiale du Commerce pour garantir l'efficacité des mécanismes de mise en Ïuvre des AME. Il est essentiel de préserver les normes fondamentales de l'environnement et du travail contre les pressions qu'exerce la compétitivité dans les systèmes du commerce international et de l'investissement.


La stabilité de l'emploi

  1. Depuis longtemps, les syndicats font observer que le développement durable ne peut qu'aller de pair avec des politiques d'emploi stable. Face à la montée du chômage, à l'insécurité croissante sur le lieu de travail, et aux pressions qui s'exercent en faveur de formes de production et de distribution moins polluantes pour l'environnement, les syndicats se tournent vers des profils plus durables à long terme de l'expansion de l'emploi et de la création de richesses.
  2. Tout en reconnaissant que le cheminement vers un développement soutenable peut impliquer des problèmes d'ajustement considérables dans le court terme, les syndicats estiment fermement que le résultat net du développement durable sur l'emploi, sur les conditions et la qualité du travail, sera positif. Néanmoins, une attention de tout instant doit permettre d'analyser, de prévoir et d'atténuer toutes conséquences négatives que pourraient avoir, en matière de répartition et d'emploi, les politiques de l'environnement.
  3. Il n'y a ni incompatibilité ni corrélation inévitable entre l'emploi et l'environnement. L'expérience qu'ont les syndicats démontre que l'emploi est davantage menacé lorsque les employeurs ne s'efforcent pas d'anticiper, de s'adapter au changement, et que les gouvernements persistent à ne pas intégrer les politiques de l'environnement et les stratégies du marché du travail. Les nations et les entreprises qui l'emportent sont celles qui ont renforcé les liens entre mesures pour la protection de l'environnement et besoins en matière d'emploi, et qui ont investi dans la maîtrise de la pollution, la technologie de l'environnement et la formation des compétences pour l'environnement.
  4. Le marché mondial des produits et services de l'industrie environnementale est actuellement estimé à environ 250 milliards de dollars américains, et augmente à un rythme de 6 à 8 % par an. Cette industrie constitue déjà un générateur considérable d'emplois et pourrait fortement augmenter ses performances au fur et à mesure que les marchés se développent. A noter toutefois que, dans la majorité des pays de l'OCDE, les industries liées à l'environnement sont sous-développées et concentrées sur les technologies de dépollution "en aval". Les quelques pays comptant des industries dotées de techniques écologiques éprouvées sont ceux dont la législation et les obligations en matière de protection de l'environnement sont les plus strictes, et où les gouvernements appliquent rigoureusement les réglementations, et soutiennent l'investissement privé pour la lutte contre la pollution et l'équipement de contrôle par le biais des dépenses budgétaires et des marchés publics. Il reste encore beaucoup à faire pour stimuler l'expansion de l'emploi respectueux de l'environnement. Un support gouvernemental accru doit être apporté au développement des technologies de l'environnement et à l'industrie des services, y compris aux produits de consommation écologiques, aux sources d'énergie renouvelables et aux biotechnologies de l'environnement.
  5. Les syndicats ont également mené campagne pour l'accroissement de l'investissement public dans des programmes de travaux respectueux de l'environnement, en particulier dans des régions caractérisées par un chômage élevé ou le déclin industriel. Un certain nombre de pays membres de l'OCDE ont lancé avec succès des programmes d'assainissement et de remise en état du milieu naturel, au niveau local et régional, en vue d'offrir des possibilités d'emploi aux jeunes et aux chômeurs de longue date. D'autres expériences existent, sous la forme de fonds structurels et régionaux qui, assignés à l'amélioration de l'environnement, créent en même temps des emplois. Mais le principal obstacle au financement de ces programmes réside dans l'incapacité des gouvernements de quantifier les profits accrus à la société grâce à l'investissement public dans des programmes générateurs d'emplois et bénéfiques à l'environnement local.
  6. La portée, les coûts, et bénéfices du lien entre les politiques de l'environnement et l'emploi doivent être mieux compris et quantifiés, afin notamment de permettre aux responsables politiques gouvernementaux de faire des propositions plus sures, formulées avec plus de précision. L'Etude de l'OCDE sur l'Emploi n'évoque pas cette question mais l'opportunité doit en être saisie dans le cadre de son suivi. L'OCDE devrait entreprendre un "examen thématique" sur "L'emploi et l'environnement", qui approfondirait les points suivants :
    1. les conséquences directes et indirectes sur l'emploi de réglementations et de normes plus rigoureuses pour la protection de l'environnement, ainsi que les répercussions sur l'emploi, en termes de coûts, de l'inaction ou de la lenteur des initiatives prises pour son amélioration ;
    2. les débouchés et la qualité de l'emploi offerts par les technologies de l'environnement et l'industrie des services ;
    3. le "double dividende" potentiel à dégager des programmes d'investissement public respectueux de l'environnement ;
    4. les micro/macro-incidences sur l'emploi de la substitution de taxes sur les ressources naturelles aux charges grevant la main-d'Ïuvre ;
    5. la nécessité de soutenir la formation et le recyclage des compétences en matière d'environnement ; et
    6. les avantages d'autres méthodes comptables qui mesurent mieux les effets externes à l'environnement et pourraient ainsi donner une valeur accrue à la création d'emplois "propres".


Instruments économiques

  1. L'intervention sur les marchés par le biais d'instruments économiques, comme l'écotaxe, peut donner une impulsion à la protection de l'environnement, basée sur un marché de bon rapport coût/efficacité. Mais ce n'est pas la panacée; ils doivent être utilisés comme soutiens, parallèlement aux réglementations et autres outils basés sur le "principe pollueur/payeur". L'utilisation d'instruments économiques devrait permettre aux prix de refléter plus étroitement les répercussions à long terme sur les ressources et la sécurité de l'approvisionnement. Le fait de ne pas tenir pleinement compte de toutes les données jouant sur les ressources constitue un obstacle majeur à l'amélioration de l'environnement. Il faut donc que les gouvernements, dans un effort de concertation accru, élaborent des conventions harmonisées pour quantifier et mesurer les effets induits.
  2. Les travaux de l'OCDE ont démontré que les instruments économiques peuvent avoir des conséquences importantes, de caractère régressif, dans le domaine social et sur la répartition des revenus. Une condition préalable à la mise en Ïuvre de tels instruments, est d'en calculer les répercussions négatives et de les contrebalancer totalement par des mesures compensatoires. Les coûts sociaux des changements doivent être répartis équitablement et les recettes, dégagées des dispositions appliquées au marché, devraient servir à compenser les effets régressifs sur la répartition des revenus et à protéger l'environnement. Négliger d'assurer le caractère "socialement acceptable" des mesures prises réduit sérieusement l'acceptabilité des instruments économiques. Une consultation totale avec tous les acteurs touchés par la conception et le contrôle des instruments économiques est donc essentielle.
  3. D'autre part, les mesures économiques ne produiront pas l'effet souhaité si des produits et services, acceptables du point de vue environnemental et social, et permettant un changement de comportement des consommateurs, ne sont pas disponibles sur le marché. Cette observation est particulièrement évidente dans le cas de la politique des transports où les mesures dissuasives pour les transports privés doivent être compensées par un système de transports publics efficace, pratique et compétitif. Il appartient aux gouvernements d'assumer ici une responsabilité majeure en réalisant des investissements souhaitables pour l'environnement dans des domaines comme l'infrastructure des transports publics. L'information appropriée des consommateurs et l'éveil de la conscience en général sont aussi des éléments vitaux pour changer le comportement des consommateurs; d'autre part, les syndicats partagent avec les entreprises, le gouvernement et les Organisations Non Gouvernementales, l'objectif commun de promouvoir des modes de consommation durables.
  4. Le TUAC se réjouit des travaux que mène l'OCDE sur la réforme fiscale, visant à substituer des redevances sur l'exploitation et la consommation des ressources de l'environnement à l'imposition sur le travail. Mais le système de l'écotaxe n'est pas la panacée et un certain scepticisme demeure quant à l'opportunité de transférer l'ensemble des taxes. Les syndicats sont préoccupés par certaines questions particulières  : les retombées négatives, sur l'emploi et les revenus, que peuvent entraîner de nouvelles redevances; leur incidence sur la compétitivité nationale en l'absence d'accords multilatéraux; les difficultés de parvenir à réaliser une "fiscalité neutre"; ils se demandent également si les ressources de l'environnement fourniront à long terme une base de redevances stable. Outre ces réserves, il est reconnu que les systèmes actuels de taxation et de réglementation donnent parfois des signaux pervers sur les prix, ce qui entrave l'innovation et décourage l'investissement à long terme dans l'environnement. L'emphase excessive mise, dans les prises de décision financière, sur les coûts de main-d'Ïuvre par rapport à l'utilisation des ressources, constitue aussi un obstacle à la production durable. Il est donc important d'approfondir l'efficacité des progammes d'imposition qu'appliquent certains pays de l'OCDE, et d'explorer plus en détail les retombées sur l'emploi de la réforme de l'écotaxe.


Action écologique sur le lieu de travail

  1. Dans le cadre d'un "partenariat pour le changement" plus large, les syndicats, représentant l'intérêt général de leurs membres, y compris sur le lieu de travail, ont un rôle propre à assumer dans l'élaboration et la mise en Ïuvre de stratégies conjointes de production et de consommation durables. La première démarche allant dans le sens d'une coopération de la population active incombe aux dirigeants d'entreprise qui doivent impliquer totalement les travailleurs et leurs représentants syndicaux. Le dialogue entre les partenaires sociaux sur les initiatives à prendre sur le lieu de travail s'engage trop souvent au moment où la crise arrive. Tout projet concernant le lieu de travail devra débuter par un échange de vues, précoce et permanent, avec les syndicats de façon à créer le climat de confiance et l'adhésion nécessaires.
  2. Un consensus ne saurait émerger si les décisions sont prises en secret ou si des informations contradictoires circulent. Le "droit de savoir" est essentiel pour un partenariat actif, et doit s'étendre du lieu de travail au consommateur, individuellement, et à la collectivité locale. Il est logique que les travailleurs et leurs représentants syndicaux connaissent l'impact des procédés industriels et des processus de production qu'ils utilisent, et aient le droit de s'informer auprès de sources indépendantes, ainsi que le droit d'être consultés sur les stratégies et les programmes envisagés dans leurs entreprises. Ce principe implique en retour la protection des indicateurs au sein d'une entreprise. Dans la plupart des pays de l'OCDE, les syndicalistes ont le droit, en théorie, de refuser de faire des travaux potentiellement nuisibles à leur santé, ou qui risquent de compromettre leur sécurité, et de rendre compte de leurs problèmes de santé et de sécurité aux autorités compétentes, sans pour autant porter atteinte à leur contrat de travail. Cette protection légale des travailleurs et de leurs représentants syndicaux devrait être appliquée aux questions d'environnement au sein même de l'entreprise.
  3. Pour permettre aux travailleurs de contribuer à l'amélioration de la performance des entreprises en matière de protection de l'environnement, il faut leur en donner le droit et les moyens, les obligations ne suffisent pas. Le droit de négocier des modifications dans la chaîne de production et dans l'organisation du travail, et le droit de proposer des changements - outre réagir aux propositions - constituent la base même d'accords collectifs respectueux de l'environnement, et de partenariats entre syndicats et employeurs. Mais ces droits fondamentaux ne seront efficaces que dans la mesure où ils seront mis en pratique. Un important objectif pour la participation pratique, immédiate, des syndicats, est l'audit d'environnement de l'entreprise, expérience qui tend à se répandre dans presque tous les pays de l'OCDE et est considérée par de nombreuses entreprises comme un moyen efficace d'évaluer et de gérer la performance en matière d'environnement. La confiance et la coopération de la population active est une condition préalable essentielle à tout audit de l'environnement, et les syndicats ont là une importante contribution à apporter en matière de conception, de mise en Ïuvre et de rapport. Les syndicats ont aussi un rôle non moins important à jouer dans la sélection des cibles et des objectifs environnementaux, ainsi que dans la détermination et la surveillance des normes écologiques sur le lieu de travail.


Initiatives syndicales en faveur de la protection de l'environnement

En l'espace de trois ans, depuis la Conférence de Rio, la protection de l'environnement est devenue une priorité pour le mouvement syndical, qui s'est manifesté par des initiatives mettant en lumière l'implication des travailleurs et de leurs syndicats. Dans ce processus, ils ont modifié les relations traditionnelles sur le lieu de travail et ont étendu leur rôle à la collectivité. Des cas, comme ceux ci-après décrits, illustrent un certain nombre d'innovations :

En Allemagne, les ouvriers de l'industrie chimique ont conclu plus de soixante accords qui dépassent le mandat des Conseils d'Entreprise en assurant aux travailleurs l'information nécessaire, la formation, la participation et même la codétermination sur des questions touchant l'environnement.
Au Zimbabwe, à l'initiative de deux syndicats du secteur public avec la collaboration de l'OIT, les collectivités ont participé à un vaste processus de recherche et de dialogue social axé sur les problèmes et les services relatifs à l'environnement. Les activités de suivi avec les autorités locales, le gouvernement et les ONG constituent un tremplin permettant de résoudre les problèmes et d'élaborer des programmes pour l'avenir.
Un programme d'audit d'environnement conduit par dix entreprises de tourisme en Finlande a illustré l'efficacité du mécanisme d'audit pour promouvoir des objectifs de développement durable. Il a démontré que des performances économiques peuvent être réalisées par le biais d'une gestion adéquate de l'environnement, impliquant la participation des travailleurs et de leurs syndicats.
Aux Etats-Unis, le syndicat "Laborers' International Union" a conçu un modèle de formation et des partenariats avec des entreprises spécialisées et des institutions gouvernementales, destinés à des programmes d'enlèvement de matériaux à risque, dont la pratique est en train de s'étendre à l'intégralité du continent américain ainsi qu'en Europe Centrale et Orientale.
En Suède, la centrale syndicale nationale regroupant les employés et fonctionnaires (Cols blancs) a lancé le guide "6E", qui appelle toute personne concernée de l'entreprise, à tenir compte de considérations relatives à l'écologie et à l'environnement du travail dans la prise de décision quotidienne.
Le Conseil des Syndicats Australiens a lancé, en collaboration avec la principale organisation australienne de défense de l'environnement, un programme partenarial à l'échelle nationale, impliquant le secteur industriel, les gouvernements, et les collectivités, pour identifier et développer des emplois écologiques dont bénéficie directement l'environnement, ou qui procurent des solutions de rechange aux pratiques actuelles, moins préjudiciables pour l'environnement.
Au plan international, la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) a travaillé activement avec des ONG et des institutions internationales à des campagnes spécifiques, associant la santé, la sécurité et l'environnement, dans des domaines comme les produits chimiques, l'audit d'environnement, le travail des enfants, l'industrie du jouet, et les normes internationales. Elle Ïuvre actuellement au sein de la CDD avec des groupes représentant les entreprises, pour mettre en lumière le rôle des partenaires sociaux dans la réalisation des objectifs du Programme "Action 21".

Source : CISL/ICFTU (Confédération Internationale des Syndicats Libres), en préparation de la prochaine réunion de la CDD.


  1. De nombreuses entreprises multinationales adoptent une approche positive en faveur de la négociation collective pour la protection de l'environnement et encouragent activement la participation des syndicats. Néanmoins, ceux-ci ont constaté avec consternation que les entreprises multinationales de certains pays de l'OCDE, n'appliquent pas cette politique avec la même libéralité dans tous les pays où elles sont implantées. La raison invoquée est que le climat des relations professionnelles n'encourage pas toujours la participation syndicale aux questions d'environnement. Les syndicats soulèvent ce problème pour essayer d'assurer des conditions minimales de participation sur tous les sites d'implantation d'une multinationale, quels qu'ils soient, et que des principes directeurs communs s'y appliquent. L'émergence de conseils d'entreprise en Europe et dans le monde facilitera ce processus et encouragera l'application de la meilleure pratique. Egalement essentielle dans cette optique, est l'incorporation des Principes Directeurs de l'OCDE à l'intention des Entreprises Multinationales (incluant un chapitre sur l'environnement) dans l'Accord Multilatéral sur l'Investissement, en cours de négociation. En coopération avec l'OIT, l'Organisation devrait entreprendre une étude sur la négociation des questions écologiques au sein des entreprises multinationales en vue d'établir des lignes directrices et des obligations minimales assurant la participation des travailleurs et de leurs représentants syndicaux aux questions relatives à la protection de l'environnement.
  2. Les syndicats, les employeurs et les gouvernements ont la responsabilité commune d'attirer l'attention des travailleurs sur les questions de santé, de sécurité et d'environnement. Dans la plupart des pays de l'OCDE, les campagnes menées par les gouvernements pour éveiller cette prise de conscience et apprendre à respecter l'environnement ignorent le lieu de travail et sont axées sur les individus en tant que citoyens consommateurs, passant sous silence leur rôle en tant que travailleurs. Quant aux entreprises, leurs initiatives en matière d'éducation et d'information s'adressent pour une grande part aux dirigeants ou aux consommateurs en général, et constituent toutes, trop souvent, de simples exercices de relations publiques.
  3. Les syndicats, dans tous les pays de l'OCDE, fournissent des informations et forment leur personnel et leurs membres à l'aide de matériel, de cours, tout en ayant conscience de devoir faire plus. En période de récession, de chômage croissant, et quelquefois dans un climat d'hostilité des employeurs, la chose n'est pas aisée. Mais dans ces pays peu de gouvernements soutiennent activement le programme syndical d'éducation et de formation à la protection de l'environnement et, dans la plupart, les syndicalistes n'ont pas le droit de s'absenter pour suivre des cours dans ce domaine (comme ils le peuvent pour les questions de santé et de sécurité). De la même manière que des droits sont accordés en matière de santé et de sécurité, les travailleurs et leurs représentants syndicaux devraient pouvoir accéder à la formation et au recyclage sur les questions environnementales, en particulier là où elles affectent le cadre du travail.


L'intégration des mesures pour l'environnement, la santé et la sécurité

  1. Si les problèmes d'environnement ne sont pas exclusifs au milieu du travail, l'interaction entre celui-ci et le cadre de vie s'étend à presque tous les secteurs de l'économie et est au cÏur même des stratégies visant à gérer l'environnement. A titre d'exemple, la réduction des polluants et des risques sur le lieu de travail a une répercussion positive à la fois sur la santé et la sécurité des travailleurs et sur l'environnement local. Les entreprises commencent à reconnaître le lien crucial entre le milieu du travail et le cadre de vie, et quelques-unes des grandes entreprises travaillant dans des secteurs à hauts risques cherchent à intégrer les mesures relatives à la santé et à la sécurité aux programmes axés sur la gestion de l'environnement. Il convient toutefois de noter la lenteur des gouvernements des pays de l'OCDE à reconnaître l'importance que revêtent, pour le contrôle de la pollution, les questions de santé et de sécurité; ils sont souvent opposés à l'utilisation de la réglementation et des mécanismes existants dans ce domaine pour faciliter le contrôle et l'inspection de l'environnement.
  2. Les syndicats ont joué un rôle majeur dans la mise en Ïuvre de stratégies sur les lieux de travail, dotées de systèmes et de procédures visant à la fois à réduire la pollution et à assurer les meilleures normes possibles de santé et de sécurité. Mais ils sont préoccupés lorsqu'ils constatent que l'attention accordée à la santé et à la sécurité sur le lieu de travail est quelquefois compromise par la protection de l'environnement, et que les ressources pourraient être détournées de la prévention des risques. Dans les pays de l'OCDE, depuis le milieu des années 80, les accidents et les blessures sur les lieux de travail sont en constante augmentation, tandis que les produits chimiques et matériaux à risque se multiplient; il est par conséquent vital de faire en sorte que l'amélioration de la gestion de l'environnement ne se fasse pas aux dépens de la santé et de la sécurité des travailleurs. Une approche partenariale intégrée et coordonnée pour la protection de l'environnement est nécessaire; elle devrait être fondée sur l'expérience conjointe des employeurs et des syndicats en matière de santé et de sécurité professionnelles. Il serait utile que l'OCDE étende ses travaux sur la prévention des risques et s'efforce de définir des lignes directrices et un modèle de bonne pratique sur l'intégration de la santé et de la sécurité avec la gestion de l'environnement, et autres systèmes et pratiques de gestion des risques. Le TUAC accueille favorablement l'objectif exprimé dans le Programme de l'OCDE sur la Santé et la Sécurité, visant à améliorer les partenariats avec le secteur industriel, les syndicats et les groupes de défense de l'environnement; il est prêt à y assumer un rôle actif.
  3. L'augmentation des accidents, blessures, et maladies professionnels prend un caractère fort inquiétant. Il serait par conséquent utile que l'OCDE cherche à faire appliquer de toute urgence dans ses pays membres les plus hautes normes qui soient en matière de santé et de sécurité. Les lignes directrices sur la prévention des accidents liés aux produits chimiques devraient être renforcées, et mises en application. Le TUAC soutient vivement la poursuite du programme de l'OCDE sur l'évaluation et la réduction des risques inhérents aux substances chimiques. Aucun effort ne devrait être ménagé pour élaborer un instrument contraignant relatif au contrôle des risques présentés par ces produits. Des réglementations internationales ou des accords négociés avec les producteurs devraient être basés sur les principes de "prévention" et du "droit de savoir", et quand un produit est remplacé, la même évaluation devrait être effectuée pour son substitut.


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